Le 2 juin 1985, saint Jean-Paul II a nommé co-patrons de l’Europe deux frères : deux hommes publics, deux grands intellectuels, deux grands évangélisateurs, ceux que l’on appelle « les apôtres des Slaves ».
D’origine grecque, puisque nés à Thessalonique (actuelle Salonique) respectivement en 815 (ou 820 ?) et en 827 (ou 828 ?), Méthode et Constantin, qui devait prendre le nom de Cyrille en devenant moine, étaient les fils d’un haut fonctionnaire de l’Empire byzantin. Méthode succéda d’ailleurs brièvement à son père, avant de choisir la retraite et la prière. Son frère devint secrétaire du patriarche de Constantinople ; tenté lui aussi par une vie contemplative, il dut néanmoins demeurer dans la capitale de l’Empire, où il enseignait si bien qu’on l’appelait « le Philosophe ».
Précurseurs de l’œcuménisme
Au début des années 860, ils furent envoyés pour répondre à la détresse spirituelle exprimée par le prince de Grande-Moravie, un royaume d’Europe centrale situé à peu près entre les actuelles Allemagne orientale et Ukraine. « Notre pays est baptisé et nous n’avons pas de maître pour nous prêcher, nous instruire et nous expliquer les livres saints. Nous ne comprenons ni la langue grecque, ni la langue latine […]. Nous autres Slaves, nous sommes un peuple simple et nous n’avons personne pour nous enseigner la vérité. Désigne-nous donc, généreux monarque, un homme capable de nous parler. » Les deux frères furent ces hommes : ils quittèrent leur pays et leurs situations pour répondre à l’appel.
Cyrille, à gauche sur la fresque, est reconnu comme l’inventeur du premier alphabet slave, représenté sur le parchemin qu’il tient déroulé – notons qu’il ne s’agit pas de l’actuel alphabet cyrillique, fruit d’une adaptation de l’alphabet du vrai Cyrille par un autre religieux qui avait pris son nom. Grâce aux traductions des deux frères, la langue slave devint officiellement langue liturgique en 880. L’invention géniale de l’alphabet, outil d’évangélisation, fut aussi fondatrice pour tout un peuple. Il s’agissait, pour les pays slaves, de rester eux-mêmes face à l’Empire. L’inculturation réussie de la tradition chrétienne manifeste la fidélité, la justesse et la souplesse d’esprit de Cyrille et Méthode qui, tout en restant toujours en contact avec Rome, ne firent pas le choix d’imposer la langue et la liturgie qui étaient les leurs, mais s’adaptèrent au peuple vers lequel ils avaient été envoyés. Ils eurent un grand souci de l’unité, à un moment où commençaient à se faire sentir les tensions qui devaient conduire au schisme (1054). Leur action fait d’eux les précurseurs authentiques de l’œcuménisme.
Cyrille mourut à Rome, ayant tout juste prononcé ses vœux monastiques : ses reliques sont conservées à la basilique dédiée à saint Clément, dont Cyrille et Méthode avaient rapporté les reliques trouvées lors d’un voyage en Crimée.
Méthode, quant à lui, est l’archevêque que nous apercevons à droite, aussi droit que son frère et que la croix, qui apparaît tout à la fois comme un soutien et comme un but. La représentation frontale des saints, l’identité de leurs postures, l’isocéphalie (leurs têtes sont exactement au même niveau), et leurs regards dirigés directement sur le spectateur donnent une impression de force et de détermination que ne dément en rien la douceur des tons due au traitement à fresque. Différenciés par leurs habits, par leurs cheveux dont la couleur signale bien que Cyrille est mort plus jeune puisque Méthode est représenté déjà blanchi, selon une pratique iconographique traditionnelle, les frères sont unis dans la résolution que l’artiste bulgare a manifestée à travers leur attitude.
Le don total
« Mon frère, nous avons partagé le même sort, conduisant la charrue dans le même sillon ; à présent, je tombe dans le champ au terme de ma journée. Toi, je le sais, tu aimes beaucoup ta Montagne ; mais n’abandonne pas la tâche d’enseignement pour retourner sur la Montagne. En vérité, où pourrais-tu mieux accomplir ton salut ? » Ces paroles de Cyrille à son frère, peu avant sa mort, témoignent de la persistance du désir de la retraite en Dieu, et du charisme particulier reçu mais aussi choisi par Cyrille et Méthode : l’enseignement. Non sans épreuves diverses – prison, contestation, calomnies –, l’archevêque poursuivit la mission, traduisant en slave l’Écriture et d’autres textes religieux et légaux. Après sa mort, l’œuvre essaima, notamment en Bulgarie : sa paternité spirituelle est immense.
Au-delà de la scission entre Rome et Constantinople, Cyrille et Méthode, missionnaires exemplaires, demeurent, dans les mots d’une prière de saint Jean-Paul II, « ces évangélisateurs de l’Europe qui, forts dans la foi, dans l’espérance et dans la charité, annoncèrent à nos pères ton salut et ta paix, et qui, dans les peines des semailles spirituelles, commencèrent la construction de la civilisation de l’amour, de l’ordre nouveau fondé sur ta sainte loi et sur le secours de ta grâce qui, à la fin des temps, vivifiera tout et tous dans la Jérusalem céleste ». Avec lui, rendons grâce et prions pour l’œuvre entamée il y a plus de mille ans.
Delphine Mouquin
Agrégée et docteur en lettres modernes
Saints Cyrille et Méthode, fresque,monastère de Chiprovtsi, Bulgarie.
Si les catacombes pouvaient, à l’occasion, servir de refuge pendant les persécutions, elles étaient d’abord des cimetières communautaires, les seuls lieux dédiés qui, jusqu’au règne de Constantin, assuraient la visibilité de l’Église. Située au sud-est de Rome, au-delà de ses murailles, la catacombe des Saints-Pierre-et-Marcellin s’étend sur trois hectares et compte plus de quatre kilomètres de galeries souterraines réparties sur trois niveaux, avec nombre de salles et de chapelles. Au moins vingt mille défunts y ont été ensevelis du milieu du iiie siècle à la fin du ive siècle. On a retrouvé une soixantaine de telles catacombes autour de la ville de Rome. Cependant, celle-ci est remarquable par ses fresques, qui ont conservé une fraîcheur étonnante, comme en témoigne celle reproduite en couverture de votre Magnificat.
Voici donc Noé, représenté au moment où la colombe lui revient porteuse d’un rameau d’olivier, attestant que la Terre a repris vie après qu’elle fut submergée par le Déluge. Le patriarche est clairement représenté en tant qu’il est une figure éminente du Christ Jésus : il fait irruption de l’Arche après avoir défié la mort, exactement comme Jésus fera irruption du tombeau après avoir traversé la mort, victorieusement. Cette iconographie inspirera au long des siècles, et spécialement à la Renaissance, les représentations de la Résurrection.
Comme le rappelle la bénédiction de l’eau baptismale, Noé préfigure l’avènement du Fils de l’Homme : « Père infiniment bon, par les flots du Déluge, tu annonçais le baptême qui fait revivre, puisque l’eau y préfigurait également la mort du péché et la naissance de toute justice. » Ainsi, quand Noé sauve l’humanité, en construisant l’Arche, Jésus la sauvera définitivement en fondant l’Église. Ainsi, quand Noé scelle la première Alliance avec Dieu, Jésus, lui, scellera l’Alliance définitive, nouvelle et éternelle.
Le 2 juin 1985, saint Jean-Paul II a nommé co-patrons de l’Europe deux frères : deux hommes publics, deux grands intellectuels, deux grands évangélisateurs, ceux que l’on appelle « les apôtres des Slaves ».
D’origine grecque, puisque nés à Thessalonique (actuelle Salonique) respectivement en 815 (ou 820 ?) et en 827 (ou 828 ?), Méthode et Constantin, qui devait prendre le nom de Cyrille en devenant moine, étaient les fils d’un haut fonctionnaire de l’Empire byzantin. Méthode succéda d’ailleurs brièvement à son père, avant de choisir la retraite et la prière. Son frère devint secrétaire du patriarche de Constantinople ; tenté lui aussi par une vie contemplative, il dut néanmoins demeurer dans la capitale de l’Empire, où il enseignait si bien qu’on l’appelait « le Philosophe ».
Précurseurs de l’œcuménisme
Au début des années 860, ils furent envoyés pour répondre à la détresse spirituelle exprimée par le prince de Grande-Moravie, un royaume d’Europe centrale situé à peu près entre les actuelles Allemagne orientale et Ukraine. « Notre pays est baptisé et nous n’avons pas de maître pour nous prêcher, nous instruire et nous expliquer les livres saints. Nous ne comprenons ni la langue grecque, ni la langue latine […]. Nous autres Slaves, nous sommes un peuple simple et nous n’avons personne pour nous enseigner la vérité. Désigne-nous donc, généreux monarque, un homme capable de nous parler. » Les deux frères furent ces hommes : ils quittèrent leur pays et leurs situations pour répondre à l’appel.
Cyrille, à gauche sur la fresque, est reconnu comme l’inventeur du premier alphabet slave, représenté sur le parchemin qu’il tient déroulé – notons qu’il ne s’agit pas de l’actuel alphabet cyrillique, fruit d’une adaptation de l’alphabet du vrai Cyrille par un autre religieux qui avait pris son nom. Grâce aux traductions des deux frères, la langue slave devint officiellement langue liturgique en 880. L’invention géniale de l’alphabet, outil d’évangélisation, fut aussi fondatrice pour tout un peuple. Il s’agissait, pour les pays slaves, de rester eux-mêmes face à l’Empire. L’inculturation réussie de la tradition chrétienne manifeste la fidélité, la justesse et la souplesse d’esprit de Cyrille et Méthode qui, tout en restant toujours en contact avec Rome, ne firent pas le choix d’imposer la langue et la liturgie qui étaient les leurs, mais s’adaptèrent au peuple vers lequel ils avaient été envoyés. Ils eurent un grand souci de l’unité, à un moment où commençaient à se faire sentir les tensions qui devaient conduire au schisme (1054). Leur action fait d’eux les précurseurs authentiques de l’œcuménisme.
Cyrille mourut à Rome, ayant tout juste prononcé ses vœux monastiques : ses reliques sont conservées à la basilique dédiée à saint Clément, dont Cyrille et Méthode avaient rapporté les reliques trouvées lors d’un voyage en Crimée.
Méthode, quant à lui, est l’archevêque que nous apercevons à droite, aussi droit que son frère et que la croix, qui apparaît tout à la fois comme un soutien et comme un but. La représentation frontale des saints, l’identité de leurs postures, l’isocéphalie (leurs têtes sont exactement au même niveau), et leurs regards dirigés directement sur le spectateur donnent une impression de force et de détermination que ne dément en rien la douceur des tons due au traitement à fresque. Différenciés par leurs habits, par leurs cheveux dont la couleur signale bien que Cyrille est mort plus jeune puisque Méthode est représenté déjà blanchi, selon une pratique iconographique traditionnelle, les frères sont unis dans la résolution que l’artiste bulgare a manifestée à travers leur attitude.
Le don total
« Mon frère, nous avons partagé le même sort, conduisant la charrue dans le même sillon ; à présent, je tombe dans le champ au terme de ma journée. Toi, je le sais, tu aimes beaucoup ta Montagne ; mais n’abandonne pas la tâche d’enseignement pour retourner sur la Montagne. En vérité, où pourrais-tu mieux accomplir ton salut ? » Ces paroles de Cyrille à son frère, peu avant sa mort, témoignent de la persistance du désir de la retraite en Dieu, et du charisme particulier reçu mais aussi choisi par Cyrille et Méthode : l’enseignement. Non sans épreuves diverses – prison, contestation, calomnies –, l’archevêque poursuivit la mission, traduisant en slave l’Écriture et d’autres textes religieux et légaux. Après sa mort, l’œuvre essaima, notamment en Bulgarie : sa paternité spirituelle est immense.
Au-delà de la scission entre Rome et Constantinople, Cyrille et Méthode, missionnaires exemplaires, demeurent, dans les mots d’une prière de saint Jean-Paul II, « ces évangélisateurs de l’Europe qui, forts dans la foi, dans l’espérance et dans la charité, annoncèrent à nos pères ton salut et ta paix, et qui, dans les peines des semailles spirituelles, commencèrent la construction de la civilisation de l’amour, de l’ordre nouveau fondé sur ta sainte loi et sur le secours de ta grâce qui, à la fin des temps, vivifiera tout et tous dans la Jérusalem céleste ». Avec lui, rendons grâce et prions pour l’œuvre entamée il y a plus de mille ans.
Delphine Mouquin
Agrégée et docteur en lettres modernes
Saints Cyrille et Méthode, fresque,monastère de Chiprovtsi, Bulgarie.
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