Miroir sans tache

Le 1 décembre 2025

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Fray Juan Sánchez Cotán (1560-1627) vécut à Tolède (Espagne) jusqu’à l’âge de 43 ans. Il y est un peintre estimé. Il y fréquente le Greco (1541-1614) dont il possède deux tableaux et auquel il a prêté une importante somme d’argent. Ses natures mortes constituent l’un des sommets de la peinture espagnole. On y retrouve toute son âme éprise d’ascèse. Il y transpose le fruit de sa contemplation de la transcendance des choses simples (1). Familier des Franciscains, Sánchez Cotán se complaît de plus en plus, en dépit de son succès grandissant, dans l’humilité, la pauvreté de cœur et le silence. Avec son génial contemporain Lope de Vega – le Phénix des lettres au Siècle d’or –, il aurait pu dire : « La condition de petitesse qui est mienne me semble la vraie grandeur ; et petites, parce qu’elles ne le sont pas, me semblent les grandeurs des autres. »

En 1603, il décide de « mourir au monde ». Il rédige son testament, se sépare de tous ses biens et entre à la chartreuse de Grenade, en Andalousie. Il y trouve la rigueur, la simplicité, la solitude et le silence auxquels il aspirait. Comme le reconnaissait le pape Pie XI au XXe siècle, l’ordre des Chartreux, fondé en 1084 par saint Bruno et saint Hugues, n’a jamais eu besoin d’être réformé, parce que sa pratique n’a jamais dévié. À la chartreuse de Grenade, donc, frère Juan va mener une vie de prière et de contemplation d’une grande austérité. Cependant, à l’image de Fra Angelico, il va enluminer de ses toiles et fresques les différents lieux de vie et de culte du monastère. Nonobstant ses dons exceptionnels, il se considérait comme le plus petit des serviteurs, et sa bienveillance, sa prévenance, son admirable simplicité lui ont valu une réputation de sainteté encore bien vivace de nos jours.

En 1617, le pape Paul V met fin aux controverses théologiques touchant à l’immaculée conception de la Vierge Marie. S’il n’en proclame pas le dogme (ce que fera Pie IX, en 1854), il n’en intime pas moins le silence à tous ses opposants. C’est pour saluer cette décision que frère Juan entreprend de peindre l’œuvre qui, en ce mois de décembre, orne la couverture de votre Magnificat. Marie y est manifestée comme l’Immaculée Conception, de face, comme émanant de la lumière céleste par l’opération de l’Esprit Saint qui la surplombe. Elle est représentée comme la femme de l’Apocalypse : Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles (Ap 12, 1). C’est une jeune fille aux cheveux d’or, admirablement vêtue. Autour d’elle, la nuée par laquelle Dieu manifeste sa gloire forme une mandorle. La scène se déroule au-dessus d’un paysage qui représente la campagne de Grenade où se discerne à gauche la chartreuse, puis les remparts de la ville (tels ceux de la Jérusalem céleste) et, en arrière-plan, les contreforts de la Sierra Nevada. Dans ce paysage, en bas au premier plan mais aussi dans les nuées célestes aux bords droit et gauche du tableau, l’artiste a représenté seize des attributs mystiques qui célèbrent les perfections de l’Immaculée, tels qu’ils étaient chantés dans des Litanies qui aboutirent finalement aux Litanies dites de Lorette. En partant d’en haut à notre gauche (le soleil), puis en passant par le premier plan en bas, pour finir en remontant jusqu’en haut à notre droite (la lune), en voici la liste :

Resplendissante comme le soleil,
Miroir sans tache,
Porte du Ciel,
Tige de Jessé fleurie,
Tour de David,
Cité de Dieu (les remparts de Grenade),
Fontaine des jardins,
Buisson de roses,
Puits d’eau vive,
Cèdre exalté,
Olivier précieux,
Jardin clos,
Comme le lis entre les épines,
Trône de la Sagesse,
Étoile du matin,
Belle comme la lune.

Pierre-Marie Varennes

 

(1)    Ci-dessous, deux de ses plus belles natures mortes.

 

L’Immaculée Conception (v. 1617-1618), Fray Juan Sánchez Cotán (1560-1627), musée des beaux-arts, Grenade, Espagne. © akg-images/Album/Oronoz.


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