L’Annonciation

Le 1 mars 2025

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L’Annonciation (vers 1650), Jean Daret (1614-1668)

« L’art de Jean Daret, peintre insaisissable, est un reflet du monde dans lequel il évolua. » C’est par ces mots que Jane MacAvock, historienne de l’art à qui l’on doit la belle exposition Jean Daret. Peintre du roi en Provence que le musée Granet d’Aix-en-Provence accueillit à l’été 2024, résumait la carrière d’un peintre longtemps méconnu.

La redécouverte d’une œuvre

Parmi les nombreux mérites de cette exposition, il faut citer les restaurations qu’elle suscita, permettant la redécouverte d’œuvres qui n’étaient connues que de quelques historiens de l’art. L’Annonciation de l’église Saint-Étienne à Saint-Martin-de-Pallières est assurément de celles-là. Son mauvais état de conservation ne permettait plus d’en savourer la beauté, et il fallait l’œil expert de Jane MacAvock pour y reconnaître une œuvre de belle facture. Si elle conserve une part de mystère et n’a pas encore dévoilé l’identité de son commanditaire – qui « pourrait être un enfant né du mariage de Jean Meyronnet et d’Honorade de Maliverny » – elle présente des traits caractéristiques de la manière que Daret adopte au milieu du xviie siècle, notamment par le soin porté à la nature morte du premier plan et par la figure de la Vierge qui rappelle celle de la Mort de saint Joseph, commandée en 1649. Le maître y reprend cependant une composition d’un autre peintre, Philippe de Champaigne (1602-1674), qui avait été gravée et publiée dans un ouvrage à succès, L’Office de l’Église et de la Vierge en latin et en françois, plus connu sous le titre les Heures de Port-Royal ou encore Heures à la janséniste, qu’Isaac-Louis Le Maistre de Sacy (1613-1684) avait publié en 1650 sous le pseudonyme de Dumont, avec des gravures de Jean Morin (1605/1609-1650). Comme le précise Jane MacAvock « on y retrouve cette composition, jusqu’à la chaise placée au milieu de la scène vers le fond ». Philippe de Champaigne représenta à neuf reprises au moins la scène de l’Annonciation. Si dans plusieurs versions (musée des Beaux-Arts de Caen en 1633, collection privée en 1636, collégiale Saint-Jean-Baptiste de Montrésor en 1636, musée des Augustins de Toulouse en 1641, basilique Notre-Dame-du-Pont de Clermont-Ferrand en 1643, Metropolitan Museum of Art de New York en 1644), Marie, agenouillée devant un prie-Dieu, se tourne légèrement devant l’archange qui vient de faire irruption, la chaise ne figure que dans L’Annonciation de la basilique Notre-Dame-du-Pont. C’est donc bien la gravure, qui reprenait la version clermontoise de 1643 en la modifiant à la marge, qui servit de source d’inspiration à Jean Daret. Œuvre de maturité, qui puise à la source janséniste, L’Annonciation est une parfaite mise en image de l’Évangile selon saint Luc.

L’Esprit Saint viendra sur toi

Marie est surprise par l’archange en pleine méditation des Écritures. Elle se tourne vers l’envoyé de Dieu, qui a pénétré dans une demeure qui n’a pas la modestie que l’on pourrait imaginer. La nuée où apparaissent l’Esprit Saint et des angelots couvre la partie haute de la pièce, mais l’on distingue un rideau vert bordé de franges, une chaise, un cartouche décoratif et un pilastre. La jeune fille de Nazareth est agenouillée, sur un prie-Dieu délicatement ouvragé. La composition n’a rien de très original, mais elle atteste la maturité du peintre. Les éléments sont savamment distribués, et permettent au spectateur de suivre le récit, de gauche à droite, de bas en haut. Gabriel vient de pénétrer dans la demeure de Marie : le mouvement de son drapé le prouve. Il ploie le genou gauche, et s’adresse à Marie, en désignant de la main droite le ciel d’où une colombe, symbole de l’Esprit, s’apprête à descendre sur la jeune Vierge. Nous sommes à l’instant précis du récit de l’Évangile de Luc où Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1, 34) et où l’ange lui répond : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu » (v. 35). En plaçant une zone neutre entre Marie et l’ange, le peintre transcrit le récit et la promesse de la venue de l’Esprit, que Marie accueille avec ce bouleversant acte de foi : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole » (v. 38).

Le sens de l’annonce

Méditant sur ce grand et beau mystère de l’Annonciation, qui est au cœur de notre foi, le pape Benoît XVI évoquait le trouble de Marie et le dialogue qui est alors le sien avec la parole de Dieu. Son enseignement trouve un étonnant écho dans l’œuvre de Jean Daret, silencieuse et recueillie, où Marie, sans cacher son trouble, est déjà dans l’acceptation de ce que l’ange lui a annoncé et qui semble pourtant impossible : « Lors de l’Annonciation, [Marie] est troublée en écoutant les paroles de l’Ange – c’est la crainte que l’homme éprouve lorsqu’il est touché par la proximité de Dieu –, mais ce n’est pas l’attitude de celui qui a peur devant ce que Dieu peut demander. Marie réfléchit, elle s’interroge sur la signification de ce salut (cf. Lc 1, 29). Le terme grec utilisé dans l’Évangile pour définir cette “réflexion”, “dielogizeto”, rappelle la racine de la parole “dialogue”. Cela signifie que Marie entre dans un dialogue intime avec la Parole de Dieu qui lui a été annoncée, elle ne la considère pas superficiellement, mais elle s’arrête, elle la laisse pénétrer dans son esprit et dans son cœur pour comprendre ce que le Seigneur veut d’elle, le sens de l’annonce » (Benoît XVI, audience du 19 décembre 2012). À la suite de Marie, puissions-nous, malgré notre trouble et nos peurs, entrer, nous aussi, dans ce dialogue et dans cette écoute, pour comprendre ce que le Seigneur veut de nous.

Sophie Mouquin

Pour aller plus loin

  • Jane MacAvock, Jean Daret (1614-1668). Peintre du roi en Provence, cat. exp. Aix-en-Provence, musée Granet, 15 juin – 29 septembre 2024, Paris, Lienart, 2024.
  • Jean Lesaulnier, Philippe de Champaigne et Port-Royal. Témoignages épistolaires, Paris, Classiques Garnier, rééd. 2019.

L’Annonciation (v. 1650), Jean Daret (1614-1668), Saint-Martin-de-Pallières, église Saint-Étienne.  © CICRP / photo Caroline Martens.

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