Nous sommes tous Cléophas

Le 1 avril 2025

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Henry Ossawa Tanner († 1937) est un Afro-Américain né à Pittsburgh, en Pennsylvanie, en 1859, six ans avant l’abolition de l’esclavage. Son père, écrivain respecté, est célèbre comme promoteur chrétien de l’émancipation des noirs. Pasteur de l’Église épiscopale méthodiste africaine, il devint missionnaire en Haïti, puis évêque. Il eut la joie de voir son fils devenir l’un des plus grands peintres américains, et missionnaire influent par la consécration de son œuvre à l’illustration de l’Évangile.

À 13 ans, Henry Tanner observe un peintre à son chevalet, dans le parc Fairmount, à Philadelphie. Il décide que, plus tard, il sera artiste peintre. Ayant mis en pratique sa résolution, à 20 ans, il s’inscrit à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts. En 1891, à 32 ans, ayant déjà acquis une petite réputation, il part faire un voyage d’étude en Europe. Séduit par Paris et l’accueil que lui font les cercles d’artistes qui y florissent, il fait sa demeure en France, jusqu’à sa mort quarante-six ans plus tard.

Les premières années, il doit livrer un véritable combat spirituel face aux séductions de la vie d’artiste aux grandes heures du Paris de la fin du XIXe siècle. Cependant, pour Noël 1896, il envoie ses vœux à ses parents en ajoutant : «J’ai décidé de servir Dieu plus fidèlement ». Dès lors, il se spécialise dans les sujets bibliques et plus particulièrement évangéliques : « J’ai toujours voulu utiliser mon art pour exprimer ma foi. La création d’art biblique me permet de synthétiser ma conviction spirituelle avec ma pratique artistique. » Cette synthèse sera porteuse d’un engagement missionnaire affirmé : « Par l’art, je cherche à transmettre une réalité plus grande, une réalité imprégnée de la lumière de la foi ».

La reconnaissance de son génie va venir très vite : son Daniel dans la fosse aux lions est accepté au salon de 1896 ; et La Résurrection de Lazare est achetée par le gouvernement français, après avoir remporté une médaille au Salon de 1897. À l’instar de l’œuvre qui illustre la couverture de votre Magnificat en ce mois d’avril, ces deux œuvres sont aujourd’hui exposées au musée d’Orsay.

Et il marchait avec eux…

Avec Le Christ et ses disciples sur la route de Béthanie, œuvre peinte en 1905, Henry Tanner évolue du réalisme vers l’impressionnisme contemporain, tout en demeurant inspiré par le symbolisme qu’incarnait un Maurice Denis. L’artiste nous transmet d’abord son « impression » par une version tamisée du célèbre « bleu Tanner » fait d’une palette d’indigo et de turquoise. Cette palette subtile crée une ambiance déjà crépusculaire, teintée d’une vibrante espérance. C’est que le petit soleil qui surplombe Jésus n’a rien d’un soleil à son couchant. Par sa blanche clarté, il éclaircit le bleu nuit du tableau, comme si le Ressuscité avait laissé aux siens qui sont dans le monde, jusqu’à ce qu’il revienne, l’auréole de son corps glorieux. « Puisse sa lumière vivifier la flamme de notre foi en la résurrection  », tel est le message que nous envoie l’artiste. Et, laissant encore apparaître Jésus et le paysage en couleur verte sous l’obscurité du soir qui tombe, il atteste que cette foi fonde l’Espérance chrétienne et donne sens à l’histoire, souvent ténébreuse, où chemine notre existence terrestre.

L’épisode est représenté au moment où les deux disciples rencontrent Jésus, sans le reconnaître. Ils viennent vers nous, ils sont au bord du tableau ; comme si, en faisant un pas de plus, ils allaient le quitter et nous proposer d’y prendre leur place. L’artiste nous invite ainsi à nous identifier à leur marche, à leurs doutes, à leurs peurs, mais aussi à leur disponibilité à entendre l’Écriture…

Cheminer avec Jésus, écouter son Évangile le cœur brûlant, le reconnaître au partage du pain : la route vers Béthanie se révèle ici une métaphore universelle et intemporelle. Elle nous invite à avancer sur notre chemin de vie en nous laissant baigner par la lumière intime et ardente de la foi en la résurrection du Seigneur.

Pierre-Marie Varennes

Le Christ et ses disciples sur la route de Béthanie (détail, v. 1905), Henry Ossawa Tanner (1859–1937), musée d’Orsay, Paris. © akg-images / Erich Lessing.

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