Livre d’Heures de Pierre II de Bretagne

Le 1 septembre 2025

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Saint Michel, Livre d’Heures de Pierre II de Bretagne (1455-1457),
Maître de Pierre II de Bretagne et anonyme

 

Comme il est parfois difficile de croire en la victoire de notre Seigneur ! C’est pourtant ce qu’il nous demande de faire : croire que par sa croix, Jésus a déjà vaincu le mal et nous ouvre les portes de la vie éternelle.

L’archange armé

Qui dit victoire, dit combat. Après les combats meurtriers livrés par le peuple d’Israël, où toujours le Dieu des armées célestes venait sauver son peuple, après la lutte multiforme de Jésus contre le mal dans les Évangiles, que ce soit dans l’expulsion des démons ou dans l’agonie à Gethsémani, bien des vies de saints ont permis que soit manifestée la lutte contre l’Ennemi et, ultimement, la victoire du Christ. Après et en Jésus, le chef des anges (cf. Dn 12, 1), l’archange Michel, est comme le prototype de ces combattants de Dieu. Innombrables sont les représentations de son affrontement contre le diable qui fait partie des visions de l’Apocalypse : Il y eut alors un combat dans le ciel : Michel, avec ses anges, dut combattre le Dragon. Le Dragon, lui aussi, combattait avec ses anges (Ap 12, 7). La mêlée angélique se réduit, sur cette page enluminée comme en la plupart des représentations de saint Michel, à un duel de personne à personne. Bien que l’un et l’autre soient de purs esprits, voici le prince des anges et le prince des Ténèbres incarnés de manière symboliquement très efficace. À gauche, Michel – « Qui est comme Dieu ? » – porte une armure complète, qui ne laisse voir que sa tête, aux traits un peu maladroits mais pleins de douceur et d’un calme peu en rapport avec le coup décisif que va porter l’immense épée qui domine les combattants. Il a les yeux fermés ; est-il en prière ? Une grande auréole toute dorée, des ailes somptueuses, ocellées, bleu et or, un vaste manteau dont on voit surtout la doublure rouge, complètent sa tenue de haut et puissant chevalier, aux couleurs éclatantes et bien dignes de représenter la majesté du Dieu qu’il sert et au nom de qui il agit. Il tient par l’oreille le diable à terre, déjà vaincu. Le démon apparaît comme la caricature de l’ange : nu, marron, difforme et, par bien des côtés, animalisé, il contraste encore avec son adversaire par les mouvements désordonnés que laissent deviner ses griffes et ses pattes, par ses courtes ailes de chauve-souris, et par le cri que sa gueule ouverte semble opposer au silence de Michel.

Vers ton temple sacré

Une deuxième scène, placée en retrait (en bas et derrière la scène principale) vient honorer l’archange : attendue dans ce manuscrit breton, dont l’auteur principal était sans doute actif à Nantes et qui fut réalisé pour Pierre II, duc de Bretagne, entre 1455 et 1457, elle représente le Mont Saint-Michel. La hauteur de la colline, les bras de mer et le sol sablonneux suffisent à indiquer vers quoi s’acheminent les pèlerins vêtus de rouge, de bleu et de marron, coiffés de capuchons parmi lesquels on distingue une cornette rouge qui pend. Ils arrivent à cheval, à pied ou en charrette. Un homme d’armes garde la porte d’entrée de la citadelle ; à l’intérieur, deux autres pèlerins gravissent la rue en pente entre des maisons serrées les unes contre les autres. Des arbres disséminés sur le rocher, des oiseaux en vol au-dessus des clochers, complètent ce paysage. Rendant hommage à saint Michel et à un sanctuaire familier, l’enlumineur a aussi illustré les paroles latines qui, sous l’enluminure et sur le folio suivant, accompagnent cette page du livre d’heures, dédiée aux « suffrages », c’est-à-dire à l’intercession de saint Michel. On y lit en effet, en latin, un extrait du psaume 137 : En présence des anges je te chante, ô mon Dieu, dans ton temple sacré, je t’adore (v 1-2). Au-dessus du Mont Saint-Michel, un paon fait la roue, symbole de l’éternité à laquelle est appelé l’homme, pèlerin sur la terre, s’il veut bien passer, avec l’aide de l’archange, par la porte du combat spirituel.

Oratio

Les marges de ce manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France, et qu’on peut retrouver sur le beau catalogue de l’exposition de 2024, au musée de Cluny, sur Les Arts en France sous Charles VII, sont attribuées à un autre peintre que la scène principale. Il y a déployé une floraison charmante, joyeuse et emblématique à la fois, qui rassemble par allusion presque tous les éléments de la foi. Outre le paon, on remarquera un vase de fraises des bois (les seules alors connues). Le vase symbolise traditionnellement la Vierge Marie, « vase spirituel » ; les fraises, dans toutes les étapes de leur croissance, depuis la fleur, blanche, facilement dédiée à Marie, fleur précoce et rampante, signe d’humilité, jusqu’au fruit rouge qui peut évoquer l’Incarnation, en passant par les fruits encore verts, représentent l’itinéraire de l’âme. Des œillets rouges sont associés au sang de la Passion, et une légende en fait aussi les larmes de Marie devant les souffrances de son fils. Des feuilles d’acanthe, bleues et dorées, des rinceaux, des pervenches composent un cadre délicieux. Sur cette marge florale, et en contrepoint de la représentation aux tons pastel du Mont Saint-Michel, le décor central, coloré et géométrique, met en valeur le combat eschatologique : il le situe dans un ailleurs spirituel, une intemporalité qui s’accorde bien à son caractère allégorique, et qui pourrait désigner également la demeure intérieure de celui qui utilise cette image pour prier. Pierre II de Bretagne, puis ceux qui héritèrent du manuscrit, parmi lesquels sans doute Anne de Bretagne, ont sans doute médité devant cette page historiée. Nous pouvons, à leur suite, reprendre les mots que l’Église leur donnait et nous donne encore aujourd’hui pour oraison : « Seigneur Dieu, avec une sagesse admirable, tu assignes leurs fonctions aux anges et aux hommes ; nous t’en prions : fais que notre vie soit protégée sur la terre par ceux qui, dans le ciel, servent toujours en ta présence » (office de la fête des saints Michel, Gabriel et Raphaël, 29 septembre).

Delphine Mouquin
Agrégée et docteur de lettres modernes

 

Pour aller plus loin

  • Mathieu Deldicque, Maxence Hermant, Séverine Lepape et Sophie Lagabrielle (dir.), Les Arts en France sous Charles VII (1422-1461), cat. exp. musée de Cluny, Paris, 12 mars au 16 juin 2024, Paris, RMN, 2024.

  • Jean-Luc Deuffic, Le Livre d’heures enluminé en Bretagne. Car sans heures ne puys Dieu prier, Turnhout, Brepols, 2020.

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