Le Tintoret (1518-1594) est sans doute le plus grand peintre de la Trinité qui régnât sur les arts vénitiens au XVIe siècle, dépassant même le Titien son maître, et Véronèse son meilleur rival, pourtant l’un et l’autre réputés insurpassables. S’honorant d’être un vrai disciple de Jésus, il donnait pour première motivation à son art de faire mieux connaître son Seigneur. À sa palette, il se considérait comme envoyé en mission et se consacrait prioritairement à illustrer l’Écriture sainte, s’attachant à récapituler aussi bien l’après que l’avant Jésus historique, de la création à la fin des temps, employant les codes les plus élaborés pour signifier les figures passées et les accomplissements à venir des épisodes bibliques qu’il représentait.
Dans cet esprit, le Tintoret a consacré vingt-cinq ans de sa vie à la réalisation du décor de la Scuola Grande di San Rocco, à Venise : cinquante-cinq tableaux impressionnants aux espaces vertigineux. L’œuvre dominée par le Christ en croix, dont le plus signifiant des détails orne la couverture de votre Magnificat de la Semaine sainte, en est l’un des plus beaux fleurons. Peinte entre 1565 et 1567, en seulement deux ans, cette Crucifixion grandiose – 5 m en hauteur sur 12 m en largeur ! – témoigne de la rapidité d’exécution et de la virtuosité du maître. Ces dons exceptionnels lui valurent d’être surnommé il Furioso. Sa « fureur » est en effet flagrante dans la complexité visuelle et l’intensité émotionnelle de cette œuvre.
Sous un ciel de fin du monde, dans un tumulte frénétique, s’affairent, s’enfièvrent et s’émeuvent une multitude de personnages – soixante-dix ! –, lesquels, dans une narration dramatique, manifestent chacun sa contribution propre à la consommation du drame suprême qu’est la mise à mort de Dieu. Le Christ en croix, tout en haut et au centre de l’œuvre, en est le point focal. Vers lui tout converge, de lui tout irradie. Le Tintoret le donne à voir di sotto in sù (de dessous vers le haut), en contre-plongée dans une perspective vertigineuse de plus de cinq mètres. Le contemplatif de cette œuvre est ainsi mis dans la position des soldats qui ont levé les yeux vers celui qu’ils ont transpercé (cf. Jn 19, 37).
Il penche son visage vers nous
L’artiste insiste avec réalisme sur l’anatomie du Crucifié : tous ses muscles sont tendus, mobilisés dans une lutte désespérée contre l’asphyxie immédiate que signifierait leur relâchement. Cependant, la chair livrée pour nous, loin d’être morbide, est délicatement lumineuse, irradiant une douce lumière que les ténèbres environnantes n’arrêtent pas. Cet homme en croix est bien la lumière véritable, qui, dressée sur le monde, éclaire tout homme. Son rayonnement se fait plus spécifiquement signifiant quand il nimbe la tête du supplicié, comme si sa gloire émanait des cruelles épines de sa couronne. L’inscription I.N.R.I., Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum, s’en trouve éclairée, et la perspective terrestre qui était celle de son auteur en est transcendée ; certes Jésus est roi – ce que Pilate a écrit est écrit à jamais –, mais sa royauté n’est vraiment pas de ce monde : il est Seigneur dans le service, Rédempteur dans le sacrifice, Tout-Puissant dans la faiblesse, Bienfaiteur dans la mort. Et il va être glorifié dans l’humiliation, élevé au-dessus de tout pour s’être abaissé en dessous de tout, jusqu’aux enfers. Non, sa royauté n’est pas de ce monde. Il est roi d’un Royaume où l’Amour est roi.
Le voici donc notre Roi d’Amour qui penche son visage vers nous. Au pied de la croix, saint Jean est de tout son être tourné vers lui. Aussi bien que quand il reçoit la Mère de Dieu pour mère, au Calvaire, le disciple bien-aimé nous représenta tous, et vous et moi. Or, voici que le regard de Jésus est plongé dans son regard. Or, voici qu’à l’heure suprême, le regard de Jésus est plongé dans notre regard.
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Le roi d’un royaume où l’Amour est roi
Le 13 avril 2025
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Le Tintoret (1518-1594) est sans doute le plus grand peintre de la Trinité qui régnât sur les arts vénitiens au XVIe siècle, dépassant même le Titien son maître, et Véronèse son meilleur rival, pourtant l’un et l’autre réputés insurpassables. S’honorant d’être un vrai disciple de Jésus, il donnait pour première motivation à son art de faire mieux connaître son Seigneur. À sa palette, il se considérait comme envoyé en mission et se consacrait prioritairement à illustrer l’Écriture sainte, s’attachant à récapituler aussi bien l’après que l’avant Jésus historique, de la création à la fin des temps, employant les codes les plus élaborés pour signifier les figures passées et les accomplissements à venir des épisodes bibliques qu’il représentait.
Dans cet esprit, le Tintoret a consacré vingt-cinq ans de sa vie à la réalisation du décor de la Scuola Grande di San Rocco, à Venise : cinquante-cinq tableaux impressionnants aux espaces vertigineux. L’œuvre dominée par le Christ en croix, dont le plus signifiant des détails orne la couverture de votre Magnificat de la Semaine sainte, en est l’un des plus beaux fleurons. Peinte entre 1565 et 1567, en seulement deux ans, cette Crucifixion grandiose – 5 m en hauteur sur 12 m en largeur ! – témoigne de la rapidité d’exécution et de la virtuosité du maître. Ces dons exceptionnels lui valurent d’être surnommé il Furioso. Sa « fureur » est en effet flagrante dans la complexité visuelle et l’intensité émotionnelle de cette œuvre.
Sous un ciel de fin du monde, dans un tumulte frénétique, s’affairent, s’enfièvrent et s’émeuvent une multitude de personnages – soixante-dix ! –, lesquels, dans une narration dramatique, manifestent chacun sa contribution propre à la consommation du drame suprême qu’est la mise à mort de Dieu. Le Christ en croix, tout en haut et au centre de l’œuvre, en est le point focal. Vers lui tout converge, de lui tout irradie. Le Tintoret le donne à voir di sotto in sù (de dessous vers le haut), en contre-plongée dans une perspective vertigineuse de plus de cinq mètres. Le contemplatif de cette œuvre est ainsi mis dans la position des soldats qui ont levé les yeux vers celui qu’ils ont transpercé (cf. Jn 19, 37).
Il penche son visage vers nous
L’artiste insiste avec réalisme sur l’anatomie du Crucifié : tous ses muscles sont tendus, mobilisés dans une lutte désespérée contre l’asphyxie immédiate que signifierait leur relâchement. Cependant, la chair livrée pour nous, loin d’être morbide, est délicatement lumineuse, irradiant une douce lumière que les ténèbres environnantes n’arrêtent pas. Cet homme en croix est bien la lumière véritable, qui, dressée sur le monde, éclaire tout homme. Son rayonnement se fait plus spécifiquement signifiant quand il nimbe la tête du supplicié, comme si sa gloire émanait des cruelles épines de sa couronne. L’inscription I.N.R.I., Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum, s’en trouve éclairée, et la perspective terrestre qui était celle de son auteur en est transcendée ; certes Jésus est roi – ce que Pilate a écrit est écrit à jamais –, mais sa royauté n’est vraiment pas de ce monde : il est Seigneur dans le service, Rédempteur dans le sacrifice, Tout-Puissant dans la faiblesse, Bienfaiteur dans la mort. Et il va être glorifié dans l’humiliation, élevé au-dessus de tout pour s’être abaissé en dessous de tout, jusqu’aux enfers. Non, sa royauté n’est pas de ce monde. Il est roi d’un Royaume où l’Amour est roi.
Le voici donc notre Roi d’Amour qui penche son visage vers nous. Au pied de la croix, saint Jean est de tout son être tourné vers lui. Aussi bien que quand il reçoit la Mère de Dieu pour mère, au Calvaire, le disciple bien-aimé nous représenta tous, et vous et moi. Or, voici que le regard de Jésus est plongé dans son regard. Or, voici qu’à l’heure suprême, le regard de Jésus est plongé dans notre regard.
Pierre-Marie Varennes
Crucifixion (1565, détail), Tintoretto (1518-1594), Scuola Grande di San Rocco, Venise, Italie. © Bridgeman Images.
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