Alban de Chateauvieux
Fêté le 20 décembre par l’Église Orthodoxe

Trois heures du matin, à Cronstadt. Elle dort encore, l’île-forteresse fondée par Pierre le Grand pour protéger la toute proche Saint-Pétersbourg. Le père Jean, lui, est bien réveillé. Il se prépare, en habillant son cœur, à la célébration de la Sainte Liturgie. Déjà dans son enfance, à Soura, modeste village de l’extrême nord de la Russie, le petit Vania aimait particulièrement les offices liturgiques ; son père sacristain lui en avait transmis le goût. Homme d’âge mûr à présent, prêtre orthodoxe depuis 1855, il peut mettre des mots sur ce mystérieux attrait : « La Divine Liturgie est vraiment le service du ciel sur la terre au cours duquel Dieu lui-même, d’une manière particulière, immédiate et très proche, est présent et demeure avec les hommes, étant lui-même le Célébrant invisible qui offre et est offert », écrit-il ainsi dans son journal, Ma vie dans le Christ.
Don d’intercession
La cathédrale Saint-André fourmille déjà de fidèles lorsqu’il y pénètre pour les matines ; il n’est pourtant que 4 heures du matin ! Des centaines d’hommes et de femmes venus de Cronstadt et de toute la Russie y affluent bientôt pour la Divine Liturgie, dans l’espoir aussi de pouvoir se confesser au saint homme, recevoir de lui une bénédiction, un conseil, une parole de vie. Les prières s’égrènent, le ciel descend sur la terre. Dans de grands paniers, les pains d’offrande sont apportés à l’autel, ainsi que des lettres remplies de noms à commémorer ; la poste de la ville a dû ouvrir un service spécial pour distribuer sa correspondance. Le père Jean, dont le don d’intercession et de guérison est connu par-delà les frontières de l’Empire, prie alors ardemment pour chaque personne qui s’est confiée à lui.
La « Cène de l’amour »
Ses yeux, fixés sur Dieu, se mouillent lorsque sa bouche reçoit le corps et le sang du Christ. Il ne se lasse d’ailleurs pas d’exhorter ses ouailles à communier fréquemment – une audace, pour l’époque. « Si nous nous sommes creusé des “citernes crevassées”, Lui a ouvert pour nous dans les Saints Mystères de son corps et de son sang, la source des eaux vives qui jaillissent en vie éternelle. » Et nous nous en priverions ? Le père Jean, lui, ne peut se couper de cette « source de la vraie vie ». Et c’est bien parce que le Seigneur se fait « tout à lui » à la « Cène de l’amour » que notre bon pasteur peut être « tout pour tous ». Pour les indigents, les malfaiteurs, les désœuvrés des quartiers misérables de Cronstadt, comme pour le tsar Alexandre III à qui il donnera les derniers sacrements. Pour les enfants de l’école et du lycée de la ville, où il a enseigné plus de vingt-cinq ans, comme pour les déshérités de la Maison du labeur qu’il a fondée pour eux. Son zèle pastoral lui a valu au début moqueries et calomnies, mais peu lui importait puisque « le prêtre doit avoir compassion du monde entier ».
Il est midi, la Divine Liturgie touche à sa fin, mais le père Jean ne rentrera pas chez lui avant la nuit. Jusqu’à minuit et jusqu’à sa mort en 1908, il ne cessera de répandre autour de lui la bonne odeur du Christ, sa miséricorde. « L’amour seul doit être pour nous le bien le plus précieux. » n
À l’écoute de Jean de Cronstadt
« Tout est pour moi dans le Seigneur ! » Voilà mon trésor inappréciable ! Voilà les paroles précieuses qui peuvent rendre l’homme tranquille dans n’importe quelle position, avec lesquelles on peut être riche quand on est pauvre, généreux quand on est riche, riant envers les hommes, et toujours plein d’espérance malgré nos péchés. Tout est pour moi dans le Seigneur. C’est lui qui est ma foi, mon espérance et mon amour, mon courage, ma force, ma paix, ma joie, ma richesse, ma nourriture, ma boisson, mon vêtement, ma vie, en un mot, tout. Oui, chrétien ! Le Seigneur est tout pour toi : sois donc aussi tout pour le Seigneur.
(Journaliste, Marie de Chamvres collabore régulièrement à Magnificat.






