baumo

Le 1 juillet 2024

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Marie Madeleine (entre 1500 et 1530), Quentin Metsys (1466-1530)

Le 22 juillet, en Provence, au-dessus de la petite ville de Saint-Maximin, la fête de sainte Marie Madeleine est vécue avec une intensité toute particulière à la grotte de la Sainte-Baume (du provençal baumo qui désigne ce type de cavité) où aurait vécu Marie Madeleine, arrivée avec sa sœur Marthe et son frère Lazare, dans le sud de la France, et qui aurait passé trente années en ermite sur cet escarpement, selon la Légende dorée. La dévotion à Marie Madeleine en ce lieu est bien vivante ; gageons qu’elle évoque davantage en nos esprits une Marie Madeleine semblable à celle des films ou séries contemporaines, que cette jeune femme de la Renaissance flamande représentée par Quentin Metsys au début du xvie siècle. Et pourtant !

Une sainte ?

La figure de Marie Madeleine est à la fois très complexe et très riche, malgré les nombreuses incertitudes historiques qui environnent l’histoire de la ou des femmes réunies sous ce nom, et à cause de ces incertitudes.

Trois femmes, que les Évangiles n’associent pas de manière conclusive, composent en effet l’histoire de cette « Marie » : celle qui vient laver les pieds de Jésus de ses pleurs et les essuyer de ses cheveux, au banquet chez Simon narré par saint Luc (cf. Lc 7, 37-50) ; Marie sœur de Lazare et de Marthe, du village de Béthanie, amie de Jésus, et qui un jour répandit un parfum très précieux sur les pieds du Maître (cf. Mt 26, 6-13 ; Mc 14, 3-9 ; Jn 12, 1-8) ; Marie de Magdala enfin, celle qui était présente à la crucifixion et à qui le Christ ressuscité devait apparaître (cf. Jn 20, 1-18). Bien des éléments les unissent et rendent loisible l’identification, qui, si elle est impossible à vérifier historiquement, offre sur le plan spirituel une profonde unité.

Le récipient de parfum, ici tout à droite du tableau mais dont le couvercle délicatement tenu par Marie Madeleine se trouve exactement au centre, sert de lien entre les trois dimensions de son histoire recomposée. Il évoque en effet le parfum apporté par la « pécheresse » de Capharnaüm, qui honorait ainsi celui qui lui avait tant pardonné qu’il l’avait rendue capable d’un immense amour. Il figure ce « parfum très pur et de très grande valeur » (Jn 12, 3) dont l’emploi indigna Judas, mais dont Jésus déclara qu’il anticipait les parfums pour son ensevelissement (cf. Jn 12, 7). Il rappelle enfin ces aromates et parfums (Lc 23, 56) préparés par les femmes après la mort du Christ.

Cet élément, joint aux cheveux, permet d’identifier sans hésiter le personnage malgré son absence d’auréole, plutôt habituelle dans la peinture flamande de l’époque, qui en fait souvent l’économie – Quentin Metsys représente parfois, mais surtout pour la Vierge, des rayons dorés. Cette Madeleine y gagne en incarnation, bien qu’elle semble presque en porcelaine tant elle est parfaite, raffinée, d’une beauté fragile.

Toute parée

La parure choisie par Metsys est complexe et permet de faire jouer les textures, les couleurs, les formes, les unes contre les autres, et de mettre en valeur le savoir-faire éblouissant du peintre, apte à rendre aussi bien le fin voile qui couvre les cheveux de la Madeleine, que la fourrure du haut de sa robe, les broderies du corsage, les perles et pierres précieuses qui l’ornent, le brocart entraperçu au travers de manches qui semblent de lin, ou la coiffe complexe, brodée d’or et ornée de perles. Sainte Madeleine ne peut être représentée sans sa longue chevelure, parce qu’elle a essuyé les pieds du Christ, dans un geste d’amour total, et parce qu’elle renvoie aussi à son passé de séductrice. Comme ses lèvres si fines, ses ongles, ses joues rosées, ses sourcils et surtout ses yeux clairs, la chevelure est réalisée avec une minutie admirative.  Par contraste, le subtil dégradé des coloris du paysage, aux teintes passées, met encore davantage en valeur cette jeune femme. Qu’elle est belle !

Metsys nous convie ici, sciemment ou non, à voir en Marie Madeleine la fiancée du Cantique du Cantique dont elle est souvent rapprochée, la bien-aimée qui cherche le bien-aimé de son âme comme Marie Madeleine au matin de la résurrection, si éplorée qu’elle ne le reconnaît pas tout de suite.

Où est-il, celui que mon cœur aime ?

« Je chercherai celui que mon âme désire ; je l’ai cherché ; je ne l’ai pas trouvé » (Ct 3, 2). Ainsi commence la plainte de la toute belle, pour se métamorphoser plus loin en cri de joie : « Je l’ai saisi et ne le lâcherai pas » (v. 4).

Marie Madeleine est encadrée par un trompe-l’œil de marbres : l’appui d’une fenêtre et deux colonnes aux nuances de rouges et de bruns, aux chapiteaux somptueux. Cette fenêtre ouverte entre la peinture et le spectateur entretient l’illusion d’un dialogue avec cette femme dont le léger déhanché et le geste nous offrent une sorte d’instantané. Mais il est possible de pousser plus loin l’interprétation : serait-ce la fenêtre ou la porte qu’il faut ouvrir au bien-aimé dans le Cantique des Cantiques ? Ce seuil pourrait-il faire allusion à l’entrée du tombeau, où Marie s’apprête à trouver la première – parce que la première elle chercha – l’absence du corps, et l’espérance de la Résurrection ? Ne pourrait-il pas nous renvoyer aussi à notre propre maison, maison de notre cœur, que le parfum de la miséricorde vient remplir quand nous osons aller à Jésus, comme Marie Madeleine, dans la vérité de notre passé et avec confiance ? La maison fut remplie de l’odeur du parfum (Jn 12, 3).

Madeleine semble, au premier abord, attristée, perdue dans cette peine de ne pas trouver son Seigneur. Mais en ce tableau qui se laisse contempler, on perçoit sur son visage un étonnement, une attente ; et l’on aimerait voir avec elle, dans le reflet lumineux qui donne vie à ses yeux, Celui qu’elle vient de reconnaître.

Delphine Mouquin

Marie Madeleine (1500-1530), Quentin Metsys (1466-1530), Paris, musée du Louvre. © RMN-GP / Franck Raux.

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