Magnificat

Le fruit de la terre et du travail des hommes

Le 1 juin 2022

Partager sur :

Alessandro Filipepi (1445-1510), surnommé Botticelli, commence à travailler comme orfèvre dans l’atelier de son frère aîné, Antonio. Il en gardera l’art du dessin net et précis, comme ciselé. À 22 ans, il entre dans l’atelier de Filippo Lippi (1406-1469). Là, pour nourrir la dévotion privée des nobles familles de Florence, il se spécialise bientôt dans la production de Vierges à l’Enfant. Son talent déjà exceptionnel est repéré par Laurent de Médicis, dit le Magnifique. En 1470, à 25 ans, il crée son propre atelier.

La Vierge à l’Enfant qui orne la couverture de votre Magnificat est particulièrement intéressante parce qu’elle manifeste l’éclosion du style Botticelli. Datée du début des années 1470, cette œuvre se situe encore dans l’esprit des productions « commerciales » de l’atelier Lippi ; cependant s’y révèle déjà un style beaucoup plus personnel, celui qui fera de Botticelli l’une des étoiles les plus brillantes de la constellation des génies florentins.

L’évolution la plus frappante réside dans la mise en valeur de la beauté des personnages. Leurs visages se détachent comme des portraits. Et pour cause : l’ange vêtu comme un jeune prince est sans doute un autoportrait ; le modèle de la Vierge Marie est Simonetta Vespucci. Considérée comme la plus belle femme du monde, adulée par les Médicis, elle incarnait l’idéal féminin pour les artistes de la cour. Elle mourut en 1476, à l’âge de 23 ans. Botticelli en fut l’amoureux platonique, au point qu’il inscrivit dans son testament sa volonté d’être « enterré à ses pieds ». Lorsqu’il mourut ­ – trente-quatre ans après la belle –, sa volonté fut scrupuleusement respectée. On peut encore aujourd’hui visiter leurs tombes dans l’église franciscaine di Ognissanti, à Florence.

Ce « portrait » de la Vierge Marie révèle donc la première manifestation de ce qui demeurera la marque originale du génie de Botticelli : la beauté transcendante des visages de ses personnages qui, comme absorbés dans une mystérieuse contemplation, expriment une sorte de mélancolie. Cette expression mélancolique est d’autant plus émouvante qu’elle suggère plus la profondeur des sentiments qu’une réelle tristesse. On remarquera aussi la sublime transparence des auréoles de poussière d’or – cruciformée de rubis pour celle de l’enfant Jésus –, qui marque la perméabilité qui s’est instaurée entre la vie divine et la vie humaine.

Mystère incomparable de ce Très-Saint-Sacrement

L’ange présente à l’enfant Jésus un vase Médicis d’étain contenant des grappes de raisin – signes du sang versé –, dans lesquelles sont fichés des épis de blé – signes du corps livré. D’un geste de la main, l’enfant Jésus bénit le présent, fruit de la terre et du travail des hommes, et le reconnaît comme sien. Cependant, Marie, sa mère, se saisit d’un épi de blé, signifiant par ce geste qu’elle accepte de communier à l’eucharistie que va faire de sa vie son divin fils.

En arrière-plan des scènes de la Nativité, les peintres de la première Renaissance font volontiers figurer des ruines de bâtiments altiers, pour figurer l’obsolescence prochaine du monde antique aussi bien que du Temple de Jérusalem. Pour structurer le fond de sa représentation de la Vierge à l’Enfant, Botticelli inaugure une ère nouvelle de l’histoire du salut en érigeant une sorte de portique de marbre, qui signifie le monde chrétien déjà en construction. Avec en perspective, se dessinant dans ses ouvertures, un paysage qui évoque la réalité actuelle de ce nouveau monde : le cours de l’Arno qui porte sur sa rive une église, et dont les flots courent irriguer la Florence des Médicis.

Pierre-Marie Varennes

Vierge à l’Enfant avec un ange (1470-1474), Sandro Botticelli (1444/5-1510), Isabella Stewart Gardner Museum, Boston, MA, USA. © Isabella Stewart Gardner Museum / Bridgeman Images.

Partager sur :