L’imitation de la grand-mère de Dieu

Le 1 septembre 2024

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Septembre est le mois de la rentrée scolaire, suivie de la rentrée des catéchistes. Un mois où les mamans chrétiennes vont être particulièrement sollicitées pour assumer avec leur génie propre – de manière non exclusive mais irremplaçable – la responsabilité de transmission qui est au cœur de leur vocation. Pour vivre avec joie et sérénité cette rentrée, elles pourront trouver assistance et inspiration en renouant avec les dévotions traditionnelles à sainte Anne, la mère de la Vierge Marie, en tant qu’elle est la sainte patronne des éducatrices et des catéchistes.

Sainte Anne ne fut-elle pas une bonne mère ?

Ni le Nouveau Testament, ni même les Évangiles ­apocryphes ne nous parlent de la manière dont sainte Anne éduqua sa fille bénie entre toutes. Cette dévotion ­particulière – qui inspira tant d’artistes – n’a pas été révélée, ni même suggérée par une tradition ancienne : elle est née d’une déduction au demeurant fort logique. En effet, l’histoire nous apprend qu’à l’époque de la naissance de Marie, au sein du peuple juif, ce sont les mères qui étaient les éducatrices de leurs filles. Et notamment, elles leur apprenaient à lire en leur faisant apprendre par cœur, puis déchiffrer, des versets de la Torah et des psaumes. Ensuite, en les leur faisant transcrire, elles leur apprenaient à écrire. Il est légitime de penser que sainte Anne fut de ce point de vue une bonne mère, spécialement inspirée par l’Esprit Saint pour élever la petite Marie comme il convenait, jusqu’à l’accomplissement plénier de son ineffable vocation. Et de fait, Marie telle qu’elle nous est révélée par les Évangiles – jeune mariée de 15 ans ou 16 ans – nous apparaît non seulement comme comblée de grâce, mais encore comme foncièrement instruite, au point de trouver dans l’Écriture les mots de la louange spontanée qu’elle élève vers le Ciel en réponse à la salutation de sa cousine Élisabeth (cf. Lc 1, 39-55). (1) À raison, donc, la dévotion fort logique à sainte Anne comme modèle des mères éducatrices et catéchistes a toujours été, depuis plus de mille ans, approuvée et fortement encouragée par l’Église.

La sculpture sur bois polychrome qui orne la couverture de votre Magnificat en est un admirable témoignage. Elle a été réalisée par le Maître de saint Benoît qui fut actif au début du xvie siècle à Hildesheim (près de Hanovre, en Allemagne). Elle impressionne autant par sa qualité que par ses dimensions : les personnages assis y sont représentés à leur taille naturelle.

Alors qu’à Rome, à la même époque, la Renaissance ­triomphait avec les sculptures de Michel-Ange (1475-1564), cette œuvre relève encore de ce qu’il est convenu d’appeler le gothique rhénan tardif, notamment dans l’archétype signifiant des figures et la convention des drapés volontiers creusés d’ombres profondes. Mais on discerne des évolutions annonciatrices d’un nouveau style qui curieusement se révélera faire l’économie du style Renaissance proprement dit, en passant directement au baroque. En témoignent, par exemple, la tendance à l’exubérance dans le volume des vêtements qui en même temps commencent à laisser deviner sous leur plasticité un corps vivant, ou encore l’expression de sainte Anne, qui sait être parlante dans sa retenue même.

L’instant où se ferme l’Ancien Testament et où s’ouvre le Nouveau

Bien qu’appartenant à la même tradition, cette œuvre se révèle d’une grande originalité par rapport au type dominant des « Éducations de la Vierge ». Et d’abord, Marie couronnée n’y est pas une enfant. C’est une jeune fille qui a la taille de sa mère et qui est placée à côté d’elle, au même niveau, et non plus dans la perspective du maître qui domine l’élève. Ensuite, on voit que, de sa main gauche, sainte Anne invite sa fille à continuer à apprendre du livre de l’Ancien Testament qu’elle tient sur ses genoux et dont elle tourne les pages de sa main droite. Or, le visage de Marie signifie qu’elle est ailleurs, non qu’elle ne soit plus attentive à la leçon, mais que son heure est venue de n’être plus l’élève de l’Écriture mais de réaliser au plus intime d’elle-même ce qu’elle en a appris. Et voici Anne qui comprend qu’il se passe un instant unique : soudain l’expression de son visage dément le geste de sa main ; elle fixe le livre que Marie tient fermé sur ses genoux. Son visage s’éclaire d’un doux sourire. Elle a compris. Elle va pouvoir fermer le livre de l’Ancien Testament, tandis que par son fiat, Marie, bénie entre toutes les femmes, va ouvrir le livre du Nouveau Testament : « Qu’il me soit fait selon ta parole, qu’en mon sein l’Écriture s’accomplisse comme Esprit et Vie, que par moi la Parole de Dieu soit mise au monde. » (2)

Ainsi, grâce au génie du Maître de saint Benoît, nous est offerte la chance de redécouvrir jusqu’à quelle hauteur un artiste inspiré osait convier les mères chrétiennes – et bien sûr, maintenant, en notre civilisation postchrétienne, il convie les grands-mères aussi bien que les mères !

Pierre-Marie Varennes

L’Éducation de la Vierge, Maître de saint Benoît (v. 1510-1530, attr. à), Philadelphie (PA, USA), Museum of Art. © Bridgeman Images.

 

(1) Le cantique du Magnificat est principalement composé de réminiscence des psaumes et du premier livre de Samuel.

(2) En ce sens, dans nombre d’œuvres comparables du XIVe au XVIe siècle, le livre de l’Ancien Testament que porte sainte Anne se termine par la phrase du Nouveau Testament qui signifie son parfait accomplissement : Et Verbum caro factum est (Et le Verbe s’est fait chair, Jn 1, 14). À partir du XIIIe siècle, les artistes, éblouis par les lumières du rationalisme, perdront le sens ultime de l’iconographie traditionnelle de l’« Éducation de la Vierge », et ne ­représenteront plus sur le livre qu’un abécédaire.

 

 

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