Naissance de Jean Baptiste

Le 1 juin 2024

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Naissance de Jean Baptiste (vers 1455), Rogier van der Weyden

 

Une naissance et une mort

En ce mois de juin, nous fêtons une naissance et une mort. La naissance de Jean le Baptiste. La mort, il y a 560 ans, le 18 juin, de l’un des plus grands peintres flamands, Rogier van der Weyden (vers 1399-1464). Cette figure centrale des primitifs flamands du xve siècle, que rien ne prédestinait à la peinture, se forme dans l’atelier de Robert Campin et connaît rapidement une reconnaissance d’estime de ses contemporains. Vers 1435, auteur d’œuvres remarquables, dont la Descente de croix destinée au maître-autel de la chapelle des arbalétriers de Louvain (Madrid, musée du Prado), il quitte sa ville natale de Tournai et s’installe à Bruxelles. Nommé peintre officiel de la ville, il travaille tant pour des commandes publiques que pour une importante clientèle privée qui compte les membres de la cour du duc de Bourgogne : le Retable des sept sacrements (Anvers, musée royal des Beaux-Arts) pour l’évêque de Tournai, le Polyptyque du Jugement dernier (Hospices de Beaune) pour le chancelier Nicolas Rolin, le Triptyque de la Nativité (Berlin, Gemäldegalerie) pour le trésorier Pierre Bladelin, etc. À ces grandes compositions s’ajoutent des œuvres de dévotion privée et de nombreux portraits, genre dans lequel il excelle. En 1450, il quitte les Flandres pour découvrir l’Italie. Officiellement, il se rend en terres transalpines pour accomplir son jubilé. Mais ce voyage est l’occasion de découvrir les chefs-d’œuvre de l’art italien et marque une nouvelle étape dans sa production. Les œuvres de la dernière décennie, tels le Retable de saint Jean Baptiste (Berlin, Gemäldegalerie), le Retable de sainte Colombe (Munich, Alte Pinakothek), le Diptyque du Calvaire (Philadelphia Museum of Art), témoignent d’une attention plus grande encore au dessin et à la lumière.

 

La leçon italienne

Panneau gauche du Retable de saint Jean Baptiste, la Naissance de saint Jean Baptiste est caractéristique de la maturité du peintre : il appartient pleinement à l’ars nova des primitifs flamands enrichi par l’influence italienne. Avec les deux autres panneaux du triptyque, le Baptême de Jésus (au centre) et la Décollation de saint Jean Baptiste (à droite), il fait montre d’un réalisme saisissant de l’espace, des objets et des figures. D’après Erwin Panofsky, ces dernières reprennent du sculpteur Claus Sluter « une solidité plastique qui les fait ressembler à des statues devenues vivantes », tant pour les personnages du récit que pour les statues en grisailles de l’encadrement, « figures de couleur de pierre », pour reprendre l’expression d’Albrecht Dürer. L’espace, construit en plans successifs, avec une vue en enfilade que Rogier van der Weyden emprunte sans doute d’une enluminure des Heures de Turin-Milan parfois attribuée à Jan van Eyck (folio 93v), donne tout son sens au récit. Élisabeth vient de mettre au monde un fils. Assistée par une domestique, elle est allongée dans sa chambre à coucher, que Van der Weyden a peinte avec une attention évidente aux détails du quotidien – le lit, la cheminée, le buffet, les objets. À l’arrière-plan, la porte ouverte laisse apercevoir l’entrée de la maison où sont figurées deux femmes, qui représentent peut-être les voisins et la famille qui se réjouirent avec Élisabeth quand ils apprirent que le Seigneur lui avait montré la grandeur de sa miséricorde (Lc 1, 58). Cette scène ordinaire de la vie domestique revêt une dimension religieuse grâce aux deux personnages du premier plan, au seuil de l’arc en ogive orné de statues d’Apôtres et de scènes de l’enfance du Christ peintes en grisaille : la Vierge Marie, drapée de bleu, présente son enfant à Zacharie. Assis sur un tabouret, le vieillard, encore frappé d’aphasie, écrit le nom de son fils sur une feuille de papier (et non une tablette comme le précise l’Évangile). La Naissance de saint Jean Baptiste est ainsi en réalité le Choix du nom de saint Jean. Et c’est cette spécificité iconographique qui, en plus du traitement de la couleur et de la lumière, trahit l’influence italienne. D’après Erwin Panofsky, Van der Weyden aurait pu découvrir en Italie les Vitae Patrum que Domenico Cavalca avait traduites en italien, et dans lesquelles il est précisé que la Vierge aurait apporté l’enfant à Zacharie après qu’il fut venu au monde. Il est vraisemblable que le peintre admira cette version du récit sculptée par Andrea Pisano sur l’une des portes du Baptistère de Florence.

 

« La voix, c’est Jean, tandis que le Seigneur est la Parole »

Peu de formules résument mieux la vocation même du Baptiste. L’homélie de saint Augustin pour la solennité de la Nativité de Jean Baptiste est un trésor spirituel. Le théologien compare habilement les deux cousins, Jean et Jésus. « L’Église considère la naissance de Jean comme particulièrement sacrée : on ne trouve aucun des saints qui nous ont précédés dont nous célébrions solennellement la naissance. Nous ne célébrons que celle de Jean et celle du Christ. Ce ne peut être sans motif ; et si peut-être nous n’y voyons pas très clair en raison de la noblesse d’un tel mystère, nous le méditerons cependant de façon fructueuse et profonde. Jean naît d’une vieille femme stérile ; le Christ naît d’une jeune fille vierge. » Augustin poursuit en démontrant que le Baptiste est « un personnage de l’antiquité et le héraut de la nouveauté. Parce qu’il représente l’antiquité, il naît de deux vieillards ; parce qu’il représente la nouveauté, il se révèle prophète dans les entrailles de sa mère. En effet, avant sa naissance, lorsque Marie s’approcha, il bondit dans le sein de sa mère. Là déjà il était désigné pour sa mission, désigné avant d’être né. Il apparaît déjà comme le précurseur du Christ, avant que celui-ci puisse le voir […]. La voix, c’est Jean, tandis que le Seigneur est la Parole : Au commencement était le Verbe. Jean, c’est la voix pour un temps ; le Christ, c’est le Verbe au commencement, c’est le Verbe éternel ». Puissions-nous, à la suite de Jean Baptiste, être ces voix qui annoncent le Verbe !

 

Sophie Mouquin

Maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Lille.

 

Pour aller plus loin

Nous fêtons ce mois-ci les 560 ans de la mort de Rogier van der Weyden. Voici quelques ouvrages consacrés à l’artiste :

  • Albert Châtelet, Rogier Van der Weyden (Rogier de La Pasture), coll. Maîtres de l’art, Gallimard, Paris, 1999 ; Rogier Van der Weyden. Problèmes de la vie et de l’œuvre, Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 1999
  • Élisabeth Dahnens et Jellie Dijkstra, Rogier de le Pasture van der Weyden : introduction à l’œuvre, relecture des sources, Tournai, La Renaissance du livre, 1999
  • Erwin Panofsky, Les Primitifs flamands, Hazan, Paris, 1953

 

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