Magnificat

Pierre Claverie, la passion de l’autre

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Le 1 mai 2023

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(c) Alban de Châteauvieux

u Fêté le 8 mai u

Pied-noir de la quatrième génération, né le 8 mai 1938 dans un quartier populaire d’Alger, le bienheureux Pierre Claverie confessait avoir passé toute sa jeunesse « dans une bulle coloniale sans jamais rencontrer les autres ni les voir ». Ces autres dont il avait nié l’existence dans une insouciante indifférence, qu’il avait côtoyés sans chercher à les connaître, et encore moins à les aimer, ces autres lui « sautèrent à la figure » lors de l’indépendance de l’Algérie. « Il a fallu une guerre pour que la bulle éclate », regrettait-il. La prise de conscience, lente, douloureuse, et d’une rare lucidité, d’avoir vécu en étranger dans son pays fut pour le jeune homme, alors étudiant à Grenoble, une véritable déflagration intérieure. Dieu s’engouffra dans cette blessure pour l’amener à lui et à la vie religieuse. À 20 ans, Pierre entra en effet chez les dominicains à Lille – il avait fréquenté l’Ordre durant ses années de scoutisme –, habité, mû, traversé par une intense « passion de l’autre ». Deux ans après son ordination, en 1967, il revint vivre en Algérie avec le désir brûlant d’aller à la rencontre de son prochain algérien musulman qu’il avait ignoré jusque-là. Dès lors, comme frère prêcheur puis évêque d’Oran, il n’eut plus qu’une obsession : « faire éclater toutes les bulles », ces barrières dressées par les religions, les méconnaissances, les incompréhensions ou les drames du passé et qui empêchaient les hommes de dialoguer, de grandir, d’avancer ensemble dans l’amour et le respect. « Le maître mot de ma foi est aujourd’hui le dialogue ; non par tactique ou par opportunisme, mais parce que le dialogue est constitutif de la relation de Dieu aux hommes et des hommes entre eux », affirmait-il. Ce dialogue exigeant, qui ne nie pas les différences, mais les considère à l’inverse comme une richesse, et même une nécessité – « J’ai besoin de la vérité des autres » –, voilà ce pour quoi Pierre Claverie a donné sa vie. Et il l’a donnée jusqu’à mêler son sang à celui de son frère musulman, puisque le 1er août 1996, il était assassiné avec son chauffeur Mohamed Bouchikhi. n

À l’écoute de Pierre Claverie

Depuis le drame algérien, on m’a souvent demandé : « Que faites-vous là-bas ? Rentrez chez vous ! ». Chez vous… Où sommes-nous chez nous ?… Nous sommes là-bas à cause de ce Messie crucifié. Comme Marie, comme saint Jean, nous sommes là, au pied de la croix où Jésus meurt, abandonné des siens, raillé par la foule. Est-ce que ce n’est pas essentiel pour un chrétien d’être là, dans les lieux de souffrances, de déréliction, d’abandon ? Où serait l’Église de Jésus Christ, elle-même Corps du Christ, si elle n’était pas là d’abord ? Tout le reste n’est que poudre aux yeux, illusion mondaine. Il s’agit bien d’amour ici, d’amour d’abord, d’amour seul. Une passion dont Jésus nous a donné le goût et tracé le chemin.

Extrait de l’homélie que Mgr Pierre Claverie
a prononcée à Prouilhe, le 23 juin 1996

(Journaliste, Marie de Chamvres collabore régulièrement à Magnificat.

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Le Christ à la mer de Galilée, Circle of Jacopo Tintoretto (Probably Lambert Sustris), Anonymous Artist - Venetian, 1518 or 1519 - 1594. © National Gallery of Art, New-York