Reliquaire de la couronne d’épines

Le 1 février 2024

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Reliquaire de la couronne d’épines, 1862-1896

 

De sang, d’or et de bois

Le reliquaire de la sainte couronne

 

C’est un long chemin, qui va du matin blême de la déposition, dans la poussière froide et le sang vaincu, à la nuit de suie et de cendres de Notre-Dame de Paris. Au milieu de la pluie de braises, l’aumônier des pompiers monta à l’assaut de la peur pour aller sauver le Saint-Sacrement et le plus précieux trésor de la cathédrale : il arracha la sainte couronne à la fournaise. Un long chemin de siècles, de silence, de secrets, de marchandages et d’adorations. De Jérusalem, à Constantinople, par Venise et, enfin, en terre de France. Des mains des premiers disciples, à celles de Louis IX, le roi saint qui la vénérait vraiment, jusqu’à nous. On ne sait dans quel contenant elle fut gardée au début. On imagine une simple étoffe tachée de sang, puis un coffret de bois, caché au cœur des maisons des premières familles chrétiennes. On trouve trace avérée d’un reliquaire, avant le milieu du xe siècle, à Constantinople, fait d’or émaillé et frappé du nom de l’empereur Constantin, le fils de sainte Hélène par qui commença la dévotion à la vraie croix.

Mais c’est bien sûr Saint Louis qui, dépensant plus de la moitié du budget de son pays, va la rapatrier en France et la porter, tête et pieds nus, vêtu d’une simple tunique, en signe d’allégeance au roi du ciel, jusqu’au cœur de Notre-Dame. Il fera ensuite créer pour elle et les autres reliques saintes, la Sainte-Chapelle, cet immense reliquaire de lumière. À la Révolution, le reliquaire médiéval est détruit, mais la sainte couronne elle-même, considérée comme objet patrimonial, est déposée au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale. En 1801, elle sera affectée au trésor de Notre-Dame de Paris. C’est le reliquaire du xixe siècle que nous contemplons ici et qui fut exposé jusqu’au mois de janvier 2024 au Louvre avec d’autres trésors de la cathédrale.

 

Le trésor de Notre-Dame

1862. Viollet-le-Duc dessine. Il se laisse inspirer par les gravures du reliquaire médiéval détruit à la Révolution. Il veut tisser les fils de l’histoire, sans briser la trame. Près d’un mètre de haut, cinquante centimètres de large de bronze, d’argent et de pierreries. Le plateau le plus bas est soutenu par neuf chimères. Sur celui-ci trônent trois personnages : sainte Hélène, qui tient une croix. Elle recueillit la couronne en 326. Baudouin II, empereur de Constantinople, porte sceptre et globe. Il vend la couronne en 1238. Saint Louis achète et ramène le précieux diadème de bois fragile en France en 1239. Il le tient dans ses mains adorantes. Tous trois soutiennent le trésor dont ils ont été les dépositaires. Au-dessus d’eux repose la monstrance, sur un coussin de velours pourpre. Le reliquaire s’achève en une couronne fleurdelisée tendue vers le ciel et ornée de joyaux. Vingt ouvriers y travaillèrent, sous les ordres de Placide Poussielgue-Rusand, durant deux années. En 1896, un nouveau cylindre de cristal de roche et d’argent doré se substitue à celui de 1806. C’est celui que nous connaissons et qui fut présenté à l’exposition. Il est dessiné par Jules Astruc et réalisé par le fils de l’orfèvre du reliquaire, Maurice Poussielgue-Rusand. L’anneau en cristal de 21 cm de diamètre contient la relique. Il est scandé d’écussons émaillés représentant sur l’avers saint Denis, sainte Geneviève et les armes du chapitre de Notre-Dame, au revers le visage du Christ, les armes de la Ville de Paris et le sceau de Saint Louis.

 

Mysterium fidei

Puis, avec des épines, ils tressèrent une couronne, et la posèrent sur sa tête ; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’agenouillaient devant lui en disant : « Salut, roi des Juifs ! » (Mt 27, 29).

Loin de ce sublime decorum, je me suis souvent figuré le centurion qui dut ceindre cette couronne sur la tête du Christ. Les précautions qu’il dut prendre pour épargner ses propres mains. Et puis, lentement, approcher l’instrument du supplice de la tête innocente de l’Agneau qui se penche, sans reculer, sans crier, prêt à être sacré dans le sang du Martyr. Les longs dards qui piquent le front. Qui entrent dans les cheveux. Qui percent la peau. Et puis un dernier enfoncement brusque et les épines qui s’abîment en lui. Le sang, lentement qui dessine sur le beau visage le chemin qui mènera dans la poussière et les larmes au Golgotha. Et puis brusquement les rires qui fusent. Les voix veules de la vulgarité. Celles qui dénaturent tout, se moquent de tout. On l’insulte, ce prince rougeoyant et silencieux. On le nargue. On lui crache au visage. Sa royauté n’est qu’opprobre, singeries et désolation.

 

Monstrance

Qu’est-ce qu’un reliquaire ? Ce sont les mains de Véronique qui reçoivent le voile taché de sang et le montrent au monde. Ce sont les bras de Simon de Sirène tendus pour porter la poutre qui écrase son Seigneur à la fin de son calvaire. Un reliquaire est l’adjuvant simple et secondaire du mystère impérissable dont il est le témoin. Le Moyen Âge a aimé lui faire traduire la gloire qu’il contient. Il a usé de richesse, souvent pour la joie d’offrir ce que le monde portait de plus précieux. Souvent aussi pour une gloire trop terrestre et l’assurance d’un pouvoir de fascination. En réalité, seul importe le silence qu’un reliquaire doit percer dans la robe du temps et de l’espace pour permettre l’intensité de la contemplation. Un reliquaire doit être comme Marie lorsqu’on lui rendit le corps inerte de son fils : bras tendus recevant l’inimaginable de Dieu, dans la foi et l’abandon.

Ce reliquaire a quitté le présent vibrant de la vénération pour le passé glorieux des musées, sans son précieux contenu. Il va être remplacé par un autre, permettant, on l’espère, une vénération plus fréquente et apparemment plus proche. Puisse ce nouveau contenant faire saisir avec intensité et ferveur ce qu’est cette couronne de bois, usée par le vent des siècles et vivifiée par l’adoration des fidèles : le Christ a donné sa vie pour faire comprendre au monde que l’amour de Dieu n’a pas de limite. Pas même celle de la mort.

 

Fleur Nabert

Sculpteur. Réalise également du mobilier liturgique. Ecrit sur l’art dans plusieurs revues, dont Magnificat.

Reliquaires de la Couronne d’épines (1862-1896), Trésor de Notre-Dame de Paris, Maurice Poussielgue-Rusand (1861-1933) d’après Viollet le Duc, musée de Notre-Dame de Paris. © Pascal Lemaitre. All rights reserved 2023 / Bridgeman Images.

 

 

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