Alban de Châteauvieux
Fêté le 30 juillet
D’où es-tu ? La question que Pilate a posée à Jésus ne cesse de travailler l’Église primitive. Malgré les réponses apportées par les trois premiers conciles œcuméniques, l’origine profonde de Jésus et donc sa vraie nature demeurent âprement discutées. C’est dans ce climat de grande confusion qu’une nouvelle controverse éclate. Eutychès, supérieur d’une importante communauté monastique à Constantinople, commence à prêcher en réaction excessive à l’hérésie de Nestorius qui niait la réalité de la nature humaine de Jésus. Selon Eutychès, la divinité du Christ a comme absorbé son humanité. Condamné pour hérésie par le patriarche Flavien de Constantinople, le vieux moine s’obstine dans sa doctrine monophysite et se met en quête d’appuis pour défendre sa cause. Aussi se tourne-t-il vers l’archevêque de Ravenne, en Italie, alors capitale de l’Empire romain d’Occident. Depuis le milieu des années 430, ce siège métropolitain est occupé par un certain Pierre, qui n’a pas encore reçu le titre de Chrysologue, c’est-à-dire « Parole d’or ». Ce surnom lui sera donné au ixe siècle par le prêtre ravennate Agnellus, désireux de rivaliser avec l’Église de Constantinople qui avait sa « Bouche d’or » en la personne de Jean Chrysostome.
Dévoré par un zèle pastoral
Mais comment Pierre de Ravenne pourrait-il se rallier au moine hérétique ? Le théologien, conseiller du pape Léon Ier, a toujours veillé à suivre une ligne orthodoxe irréprochable, d’où son ardeur à combattre les hérésies et son attachement à l’enseignement de l’Église : « Quiconque ne marche point à la lumière de ce flambeau ne peut manquer de s’égarer ; l’expérience ne l’a que trop prouvé. Les hommes même les plus habiles, s’ils dédaignent de suivre cette lumière, deviennent le scandale de l’Église, au lieu de contribuer à l’instruction de ses fidèles. » Or, Pierre de Ravenne est tout entier préoccupé par le salut des âmes qui lui sont confiées. Lors d’un de ses nombreux sermons (tous brefs, limpides et captivants), il s’est un jour présenté à la foule « tel un médecin, prêt à les guérir, comme un pasteur décidé à les conduire, comme une mère, à les nourrir et comme un père, à les défendre et leur procurer le salut éternel ».
« Le Christ est en deux natures »
En outre, cette humanité du Christ qui, selon l’archimandrite Eutychès, s’est « dissoute comme une goutte de miel dans la mer », Pierre de Ravenne, lui, en a fait l’un des thèmes majeurs de sa prédication. « Depuis que le Christ a assumé le fardeau de notre chair, et a revêtu les dépouilles de l’humanité, Dieu s’appelle en toute vérité homme », a-t-il ainsi rappelé en commentant la parabole du fils prodigue. Pour toutes ces raisons, l’archevêque de Ravenne écrit une lettre à Eutychès, en 449, pour l’exhorter fermement à se conformer aux enseignements de l’Église. Sa réponse, d’une particulière clarté et justesse, est incluse dans les Actes du concile de Chalcédoine (451) qui établit que « le Christ est en deux natures, sans confusion ni changement, sans séparation ni division ». Mais cela, Pierre de Ravenne ne le sait pas puisqu’il s’est probablement éteint en 450. n
À l’écoute de saint Pierre Chrysologue
« Homme, pourquoi es-tu si vil à tes yeux, toi qui es si précieux aux yeux de Dieu ? Puisque tu es si honoré par Dieu, pourquoi t’avilis-tu ainsi ? Pourquoi cherches-tu d’où tu viens, au lieu d’essayer de découvrir pourquoi tu as été fait ? Toute cette maison du monde que tu vois n’a-t-elle pas été faite pour toi ? […] Bien que tu proviennes de la terre, il ne t’a quand même pas mis sur un pied d’égalité avec les choses terrestres, puisque, avec ton âme céleste, tu es l’égal des créatures célestes. Et pour que, avec Dieu, tu possèdes une raison en commun, et que tu aies un corps semblable à celui des animaux, Dieu t’a donné une âme qui vient du Ciel, et un corps qui provient de la terre. Pour qu’en toi, une concorde soit nouée entre le Ciel et la terre. »
Sermon 148
(Journaliste, Marie de Chamvres collabore régulièrement à Magnificat.