Sainte Cécile (1600), Stefano Maderno (1576-1636)
Rome, 1599, basilique du Trastevere. Le sarcophage contenant le corps de sainte Cécile depuis son transfert des catacombes de Saint-Calliste, en 821, doit être ouvert. Il vient d’être découvert lors d’une campagne de fouilles. Un jeune sculpteur originaire de Lombardie, Stefano Maderno, frère de l’un des architectes de Saint-Pierre, assiste à la scène. Ce qu’il voit alors va susciter l’exécution d’une des sculptures les plus émouvantes des débuts du xviie siècle : le corps de la sainte est intact. Elle semble presque endormie, étendue à terre, après son martyre. Elle est vêtue de la robe romaine, du voile qui recouvre la tête des condamnés et son cou porte la marque du couperet. Maderno parvient à transcrire dans le marbre de Carrare la délicatesse de ce corps que ni les flammes, ni la décapitation, ni les ans n’ont corrompu. La pureté de cette toute jeune femme est présentée, comme une icône, dans une niche placée au centre de la clôture du chœur, décorée de marbres polychromes et de bronzes dorés étincelants. Quel saisissant contraste entre l’élégance classique tout en retenue du corps immaculé et la profusion d’un décor baroque ! Le fidèle qui pénètre dans la basilique Sainte-Cécile-du-Trastevere est immédiatement attiré par cette figure si pure, présentée comme un agneau immolé placé visuellement au-dessous de l’autel sur lequel est célébrée l’eucharistie. Admirable sculpteur, Maderno se révèle aussi un incroyable metteur en scène. Anatole de Ségur dans son ouvrage Sainte Cécile : poème tragique en deux parties et en quatre actes considère que « la sculpture chrétienne n’a rien produit de plus achevé que la statue de sainte Cécile, qui repose en son église, à Rome, au-dessus de son tombeau. […] Telle nous la voyons sculptée dans le marbre, souple comme un enfant endormi, chastement enveloppée de sa longue robe, la tête tournée vers le sol, les cheveux relevés et cachés sous un voile, le cou portant la trace du glaive, les mains et les pieds d’une forme très pure, respirant dans toute son attitude la paix, l’innocence et la virginité ; telle elle apparut aux regards quand on la découvrit il y a trois cents ans sous la pierre de son tombeau. […] Rien n’est plus touchant que cette statue couchée au-dessus de la dépouille mortelle de la vierge dont elle est l’image, à l’endroit où elle rendit le dernier soupir. C’est un des plus purs hommages rendus par l’art à la sainteté ». Bien d’autres auteurs ont relevé la délicatesse de cette œuvre ; l’élégance de la position du corps, la perfection des proportions, la finesse des drapés, tout contribue à faire de cette Sainte Cécile un chef-d’œuvre classique.
« Un des plus purs hommages rendus par l’art à la sainteté »
Cette grâce exprime la sainteté de la jeune fille. Elle témoigne aussi de la vaillance de sa foi : martyre, elle annonce, jusque dans sa mort, ce Dieu qu’elle aime. La position de ses mains n’a rien de hasardeux. Elle rappelle l’unité (par l’index de la main gauche) de la Trinité (par les trois doigts ouverts de la main droite). Qui est donc cette sainte qui, au-delà de sa mort, livre une leçon de théologie ? Sa vie reste encore assez mystérieuse et possiblement légendaire : d’après la Légende dorée de Jacques de Voragine, cette patricienne romaine du iiie siècle, aurait fait, toute jeune, un vœu de virginité et aurait consacré sa vie à Dieu. Mariée, contre son gré, à un païen, Valérien, elle favorise sa conversion, ainsi que celle de son frère Tiburce, et obtient qu’il respecte le vœu de virginité qu’elle avait prononcé. Si l’ange qui veille sur moi, lui dit-elle, « apprend que tu m’aimes d’un amour pur, il t’aimera autant que moi et te montrera sa gloire ». Devenus de véritables hérauts de la foi, Valérien et Tiburce sont condamnés à la décapitation pour avoir donné une sépulture à des chrétiens morts en martyrs avant eux. Veuve, Cécile continue à proclamer sa foi, se distingue par sa charité et par le zèle avec lequel elle anime un petit groupe de chrétiens dans sa demeure du Trastevere, où le pape Urbain célèbre l’eucharistie. Arrêtée, condamnée à la décapitation par le préfet de Rome Amalchius, la tradition rapporte qu’elle agonise pendant trois jours : « J’ai demandé au ciel ces trois jours de délai pour te faire une dernière fois mes recommandations, et pour te prier de consacrer une église sur l’emplacement de cette maison où je meurs », déclare-t-elle à Urbain. L’église existe toujours : il s’agit de Sainte-Cécile-du-Trastevere qui accueille un monastère de bénédictines. Vierge et martyre, Cécile devint surtout la sainte patronne des musiciens et de la musique : elle aurait entendu une musique céleste alors qu’elle marchait vers son supplice.
La musicienne du silence
Modèle du don de soi, de l’absolu du don, Cécile fut célébrée par les peintres, les sculpteurs, les compositeurs (notamment Charpentier, Purcell, Händel, Saint-Saëns, Chausson, Benjamin Britten ou encore Arvo Pärt), mais aussi par les poètes, et suscita la création de très belles œuvres, dont un poème de Stéphane Mallarmé, sobrement intitulé Sainte et que Maurice Ravel mit merveilleusement en musique :
À la fenêtre recélant
Le santal vieux qui se dédore
De sa viole étincelant
Jadis avec flûte ou mandore,
Est la Sainte pâle, étalant
Le livre vieux qui se déplie
Du Magnificat ruisselant
Jadis selon vêpre et complie :
À ce vitrage d’ostensoir
Que frôle une harpe par l’Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange
Du doigt que, sans le vieux santal
Ni le vieux livre, elle balance
Sur le plumage instrumental,
Musicienne du silence.
Sophie Mouquin
Sophie Mouquin est maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Lille.
Sainte Cécile (1600), Stefano Maderno (1576-1636), Rome (Italie), basilique Sainte-Cécile-du-Trastevere. © Vincenzo Pirozzi / Bridgeman Images.
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