Alban de Châteauvieux
Fêté le 24 septembre par l’Église orthodoxe
Monastère russe de Saint-Pantéléimon, sur le mont Athos. Alors que le spectre d’un second conflit mondial plane sur l’Europe, un vieux moine s’approche de la mort tout doucement, paisiblement. L’âme du starets Silouane a beau être en paix – victoire arrachée de haute lutte, à force d’obéissance, d’humilité et de patience, et d’une multitude de nuits –, elle est aussi en peine. « Mon âme souffre pour le monde entier ; je prie et je pleure pour tous les hommes afin qu’ils fassent pénitence et reconnaissent Dieu pour vivre dans l’amour et avoir la liberté en Dieu », écrit-il.
Quarante ans au désert
Voilà plus de quarante ans que Silouane, de son vrai nom Syméon Ivanovitch Antonov, vit et travaille dans le« jardin de la Vierge Marie ». Au fil de ces quarante ans au désert, l’Esprit lui a appris à prier pour tous les peuples de la terre, à les aimer jusqu’à en pleurer. Le moine est dévoré de compassion, en particulier pour ses ennemis et pour « ceux qui ne connaissent pas Dieu ou qui lui résistent ». Il ne jette pour autant pas la pierre à ces hommes et à ces femmes qui se fourvoient en croyant être la source de leur bonheur. Comment le pourrait-il puisqu’il a lui-même tourné le dos à Dieu dans sa jeunesse ? Et il l’a confessé : « Moi aussi, j’ai cru une fois devoir trouver le bonheur sur la terre. J’étais bien portant, fort, joyeux, les gens me voulaient du bien et je m’en vantais ; mais quand j’ai connu le Seigneur dans l’Esprit Saint, tout le bonheur de ce monde m’est apparu comme une fumée. »
Des conversions successives
De fait, alors qu’il s’était enflammé d’amour pour le Seigneur jusqu’à désirer devenir moine, le charpentier de 19 ans avait encore vite cédé à l’esprit du monde et à ses convoitises. Au cours d’une bagarre pendant la fête paroissiale de son village, en Russie, il avait même failli tuer un jeune cordonnier – il faut dire que notre moujik était solidement bâti et ne lésinait ni sur les filles, ni sur la vodka… Si la Vierge n’était pas venue souffler à l’oreille de son cœur qu’elle n’aimait pas voir ce qu’il faisait, Syméon ne serait sans doute pas devenu Silouane. Il n’aurait pas goûté à la vie éternelle, dès ici-bas, en voyant le Christ vivant. Il n’aurait pas compris que « l’éloignement de Dieu est le plus grand des malheurs » ni par quelles ruses l’ennemi « accomplit son mal dans le monde », la plus dangereuse étant la tentation de l’orgueil.
Ne pas désespérer de la miséricorde
Et quelle est la meilleure arme contre l’orgueil ? Le repentir. Par lui, tout est réparé. Même les pires péchés sont pardonnés, pour peu qu’on les jette dans le cœur de Dieu. C’est tout le sens de ce conseil que Silouane a reçu du Christ lui-même, au creux d’une nuit terrible de 1906 où il était désespéré : « Tiens ton âme en enfer et ne désespère pas. » Autrement dit : « Il faut se condamner soi-même, mais ne pas désespérer de la miséricorde et de l’amour divins. »
Tandis qu’il s’approche de la mort qui surviendra le 24 septembre 1938, le starets prie donc de façon plus instante pour que tous les hommes se repentent, car alors, il le sait, le Paradis serait déjà sur terre. n
À l’écoute de Silouane l’Athonite
« J’ai soixante-douze ans ; je vais bientôt mourir et j’écris pour vous sur la miséricorde de Dieu que le Seigneur m’a donné de connaître par le Saint-Esprit ; et le Saint-Esprit m’a appris à aimer tous les hommes. Oh ! que je voudrais vous placer sur une haute montagne pour que, de son sommet, vous puissiez voir le Visage doux et miséricordieux du Seigneur, et que vos cœurs exultent de joie. Je vous dis la vérité : je ne trouve rien de bon en moi et j’ai commis de nombreux péchés, mais la grâce du Saint-Esprit les a effacés. Et je sais qu’à ceux qui luttent avec le péché, le Seigneur accorde non seulement le pardon, mais encore, la grâce du Saint-Esprit lui réjouit l’âme et lui donne une paix douce et profonde. »
Starets Silouane, moine du mont Athos,
de l’archimandrite Sophrony, Paris, éd. Présence
(Journaliste, Marie de Chamvres collabore régulièrement à Magnificat.