Magnificat

La Libération de saint Pierre

Le 1 juin 2023

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La Libération de saint Pierre (1620-1621)

La fête de saint Pierre, célébrée en ce mois de juin, nous invite à méditer sur la figure de l’Apôtre. Impétueux saint Pierre ! « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » s’écrie-t-il lorsque Jésus demande à ses disciples : « Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 16.15). Simon, auquel le Christ donna le nom de Képhas, c’est-à-dire « roc », est l’homme du désir d’aimer et de servir le Messie, jusqu’au don de sa propre vie. Sur ce chemin, il chute pourtant, à plusieurs reprises. Il prend peur devant la force du vent lorsqu’il veut rejoindre le Christ sur les eaux. Il renie son Seigneur lorsqu’on lui demande s’il le connaît. Le pape Benoît XVI résumait cet itinéraire édifiant pour nous : « L’école de la foi n’est pas une marche triomphale, mais un chemin parsemé de souffrances et d’amour, d’épreuves et de fidélité à renouveler chaque jour. Pierre, qui avait promis une fidélité absolue, connaît l’amertume et l’humiliation du reniement : le téméraire apprend l’humilité à ses dépens. » Mais Pierre est celui auquel le Christ a donné les clés du royaume des Cieux (v. 19).

« Lève-toi vite »

Après la mort de Jésus, l’Apôtre assume pleinement sa mission. Les efforts d’Hérode Agrippa pour l’en empêcher sont vains. Le roi de Judée le fait arrêter et projette de le faire comparaître devant le peuple.  Placé sous la garde de quatre escouades de quatre soldats, […] attaché avec deux chaînes (Ac 12, 4.6), il est réveillé, en pleine nuit, par un ange. La scène, telle qu’elle est relatée dans les Actes des Apôtres, insiste sur l’autorité de l’ange, qui ne laisse d’autre choix à Pierre que de mettre sa ceinture, de chausser ses sandales, de s’envelopper de son manteau et de le suivre. L’Apôtre obéit mais il ne savait pas que tout ce qui arrivait grâce à l’ange était bien réel ; il pensait qu’il avait une vision (v. 9). Qu’elle est belle, cette docilité de Pierre ! Pierre le fougueux ne pose aucune question, ne doute pas : il fait ce que l’ange lui ordonne. Dans l’iconographie occidentale, l’épisode connaît un développement assez important, surtout après la fresque que Raphaël peignit sur les murs de l’une des chambres du Vatican à la demande de Jules II. Le pape avait été cardinal de l’église Saint-Pierre-aux-Liens où sont conservées les chaînes utilisées pour entraver l’Apôtre lorsque ce dernier fut prisonnier à Jérusalem, puis plus tard à Rome. Jules II avait donc sans doute pour le récit des Actes un attachement particulier. Si le sujet n’était pas inédit dans l’iconographie sacrée, il connaît alors un certain renouveau et même un relatif succès dans l’Europe du xviie siècle. La scène, qui se déroule de nuit, favorisait un travail sur le clair-obscur qui intéressa de nombreux suiveurs du Caravage. Giovanni Lanfranco n’était pas de ceux-là. Il fut même élève des Carrache, avant de développer une manière personnelle, que l’on qualifie volontiers de baroque en raison de son sens évident des jeux d’illusion et de perspective et de son goût pour des compositions ascensionnelles. Sa version de la Libération de saint Pierre, qui appartient aujourd’hui au Birmingham Museum of Art, fut sans doute peinte en 1621, c’est-à-dire au moment où il débuta le chantier de la coupole de Sant’Andrea della Valle qui devint l’un des grands modèles de décors pour les coupoles.

Être libéré de toute peur et de toute chaîne

Loin des effets décoratifs de ses décors peints, Lanfranco nous invite ici au plus près de l’événement, dans l’intimité même du dialogue entre l’ange et l’Apôtre. Il nous fait pénétrer dans la cellule où Pierre est retenu prisonnier : nous sommes spectateurs de la soudaineté de l’événement, de sa rapidité aussi. L’ange, seul point lumineux de l’œuvre, seule source de lumière, se tient debout, derrière Pierre qui gît à terre. Il vient de le réveiller en le frappant au côté (Ac 12, 7) ; sa main gauche l’atteste. Mais vite, il faut partir ! L’empressement de l’ange est d’autant plus sensible que la toile, inachevée, ne cache rien des repentirs, des hésitations de l’artiste : le divin messager apparaît, comme en surimpression, à l’arrière de la figure finale. Cet inachèvement donne à l’œuvre sa poésie et, même, tout son sens. L’irruption de l’ange, au creux de la nuit, au cœur de l’épreuve, est un coup de tonnerre silencieux. Elle nous rappelle la diversité des manifestations de Dieu et la puissance de son action. Elle nous presse, aussi, d’intercéder, encore et toujours, pour ceux qui connaissent l’épreuve de la prison et de l’enfermement, car tandis que Pierre était ainsi détenu dans la prison, l’Église priait Dieu pour lui avec insistance, nous précisent les Actes des Apôtres (v. 5). La communauté chrétienne supplie le Seigneur pour l’un de ses membres. Et voici que Dieu libère Pierre de ses liens, donnant ainsi une profondeur supplémentaire à cette parole : « Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux » (Mt 16, 19). Commentant l’épisode, le pape François affirmait : « Les chaînes tombent et la porte de la prison s’ouvre toute seule. Pierre s’aperçoit que le Seigneur l’“a arraché aux mains d’Hérode” (Ac 12, 11) ; il se rend compte que Dieu l’a libéré de la peur et des chaînes. Oui, le Seigneur nous libère de toute peur et de toute chaîne, afin que nous puissions être vraiment libres. » Puissions-nous, à la suite de Pierre, vivre pleinement, dans la diversité de nos situations, dans la joie comme dans la peine, de cette liberté intérieure donnée par l’amour de Dieu.

Sophie Mouquin

Maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Lille.

 

La Libération de saint Pierre (1620-1621), Giovanni Lanfranco (1582-1647), Alabama (USA), Birmingham Museum of Art. © akg-images.

 

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