Magnificat

La Parabole du semeur

Le 1 juillet 2023

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La Parabole du semeur (vers 1560), Jacopo Bassano (1510-1592)

Jésus parlait en paraboles. Dans l’Écriture, les paraboles constituent un mode particulier où nous pouvons, comme nous y invitait saint Jean-Paul II, « puiser la parole vivante qui interpelle, qui oriente, qui façonne l’existence ». Le recours à un mode imagé pour le récit ne s’est pourtant pas assorti d’une production picturale abondante, et rares sont les peintres qui se sont essayés à traduire visuellement ces histoires édifiantes.

L’image naïve de l’existence rustique

Jacopo dal Ponte, plus connu sous le nom de Jacopo Bassano, du nom du village de Vénétie où il vécut, s’est risqué à cet exercice délicat. Ce fils d’un « artiste paysan », comme se décrivait son père, qui travailla souvent avec ses quatre fils (Francesco, Gerolamo, Giovanni Battista et Leandro), excellait à retranscrire la nature dans des scènes mêlant volontiers sacré et profane. Appréciées des commanditaires, ses œuvres « offraient une image naïve de l’existence rustique », comme l’analyse Bernard Berenson. Tous ceux qui se sont intéressés à cette figure dont l’étude est d’autant plus difficile que la question de l’atelier est délicate, ont souligné la poésie de sa transcription de la nature, la qualité de l’atmosphère vibrante, la variation de la lumière, la puissance du clair-obscur. Mais sous l’apparente simplicité de la campagne, ce sont bien souvent des pages spirituelles que Bassano exécute. Paolo Berdini intitule à juste titre l’ouvrage qu’il a consacré à l’œuvre religieuse du peintre : La peinture comme exégèse visuelle (Painting as Visual Exegesis). En reléguant la scène sacrée au second plan, formule compositionnelle fréquente dans son corpus, Bassano entraîne le spectateur dans une mise en abyme méditative.

« Celui qui a des oreilles, qu’il entende » (Mt 13, 9)

La Parabole du semeur, dont il existe plusieurs versions – parfois de l’atelier du maître – dans différentes collections publiques (Springfield Museum of Fine Arts, Palazzo Pitti à Florence, Galleria dell’Accademia de Venise), utilise précisément ce type de composition. Au premier regard, l’œuvre semble appartenir au monde profane. Une famille de paysans s’apprête à interrompre les travaux des champs. Au premier plan, une femme d’âge mûr s’est agenouillée pour préparer le repas, sur un linge qu’elle vient de poser à même le sol. Un morceau de pain, un récipient, une écumoire : l’on devine que le repas partagé sera simple. Une jeune femme, assise sur une pierre, veille sur son plus jeune fils, sur sa fille, qui se lave les mains dans l’auge où les moutons s’abreuvent, et sur son fils aîné, qui s’occupe des bœufs dont la charrue repose à terre. Le labeur s’interrompt. Le chien se repose. Seul le père, à l’arrière, est encore occupé aux travaux des champs : il sème. Mais il sème au bord d’un chemin, et des oiseaux, que seule une observation attentive permet de voir, viennent picorer la semence. Ces détails, en apparence insignifiants, donnent à l’œuvre sa profondeur parabolique. Transcription de la vie quotidienne d’une famille de paysans et du rythme de la vie campagnarde, le tableau est aussi une mise en image de la parabole du semeur. Ou plus exactement des premiers versets : « Voici que le semeur sortit pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger » (Mt 13, 3-4). La suite de la parabole, « d’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde. Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés. D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un » (v. 5-8) n’est pas figurée. Celui qui a des yeux, qu’il regarde, pourrait-on s’écrier ! Il faut observer attentivement pour voir ce que l’œuvre ne dévoile pas immédiatement.

Le terreau du cœur

Le bord du chemin, le sol pierreux, les ronces, la bonne terre : Jacopo Bassano n’a pas représenté toute la diversité de ces sols accueillant la semence. Mais était-ce nécessaire pour nous faire entrer dans l’intelligence même de la parabole ? Il exalte ici le labeur des champs, et nous livre une interprétation toute personnelle de la parabole : le jeu des différents plans du tableau donne l’illusion que quelques graines tombent non sur le bord du chemin, mais sur la tête de la jeune mère. La terre qui doit faire fructifier la Parole, c’est donc nous. Commentant cette parabole, lors de l’Angélus du 16 juillet 2017, le pape François expliquait : « C’est pourquoi la parabole nous concerne surtout nous : elle parle en effet du terrain plus que du semeur. Jésus réalise, pour ainsi dire, une “radiographie spirituelle” de notre cœur, qui est le terrain dans lequel tombe la semence de la Parole. Notre cœur, comme un terrain, peut être bon et alors la parole porte du fruit, et beaucoup, mais il peut aussi être dur, imperméable. Cela arrive quand nous entendons la Parole, mais elle nous rebondit dessus, précisément comme sur une route : elle n’entre pas. […] Chers frères et sœurs, Jésus nous invite aujourd’hui à regarder en nous : à rendre grâce pour notre bonne terre et à travailler sur des terrains qui ne sont pas encore bons. Demandons-nous si notre cœur est ouvert pour accueillir avec foi la semence de la Parole de Dieu. Demandons-nous si les pierres de la paresse sont encore nombreuses et grandes ; identifions et appelons par leur nom les ronces des vices. Trouvons le courage de faire un bon assainissement du terrain, un bel assainissement de notre cœur, en portant au Seigneur dans la confession et dans la prière nos pierres et nos ronces. En faisant ainsi, Jésus, bon semeur, sera heureux d’accomplir un travail supplémentaire : purifier notre cœur, en enlevant les cailloux et les épines qui étouffent sa Parole. »

Sophie Mouquin

Maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Lille.

La Parabole du semeur (v. 1560), Jacopo Bassano (1510-1592), Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza. © akg-images.

 

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