La Résurrection de Lazare

Le 1 mars 2023

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La Résurrection de Lazare (1850),
Eugène Delacroix (1798-1863), Bâle (Suisse), Kunstmuseum.
Le vestibule du sanctuaire de la Semaine sainte

C’est par cette belle expression que Paul VI, ouvrant la Semaine sainte 1978, commentait l’Évangile de la résurrection de Lazare. Nous connaissons ce récit bouleversant où l’humanité du Christ transparaît à chaque verset. « Seigneur, celui que tu aimes est malade »,  lui annoncent Marthe et Marie (Jn 11, 3). Or Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare nous rapporte Jean (v. 5). Pourtant, Jésus ne se hâte pas, il s’en retourne en Judée puis dit à ses disciples : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil » (v. 11). Arrivé à Béthanie, Marthe puis Marie, sans lui en faire le reproche, lui disent toutes deux : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (v. 21.32). Jésus se mit à pleurer et repris par l’émotion, arriva au tombeau (v. 35.38). C’est alors que la résurrection advient : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller » (v. 43-44).

Le récit est donc celui de l’amitié du Christ pour Lazare et ses sœurs, de son émotion, de ses larmes. Mais c’est aussi, et surtout, le signe, le trop grand signe même puisqu’il conduit les grands prêtres à décider de sa mort, qu’il est bien le Messie. En ressuscitant son ami, en annonçant à Marthe :« Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (v. 25-26), Jésus précipite sa mise à mort. La résurrection de Lazare conduit à la mort du Christ. Abîme de l’amour. « Voilà la véritable nouveauté, qui surgit et franchit toutes les barrières ! Le Christ abat le mur de la mort, en Lui habite toute la plénitude de Dieu, qui est la vie, la vie éternelle. C’est pourquoi la mort n’a pas eu de pouvoir sur lui : et la résurrection de Lazare est le signe de sa domination totale sur la mort physique, qui devant Dieu est comme un sommeil », affirme Benoît XVI (Angélus, 10 avril 2011).

Le peintre-poète

Eugène Delacroix est sans doute l’un des plus grands artistes du xixe siècle. Capable de traiter tous les sujets dans les techniques les plus diverses, il excelle dans les grands formats historiques ou religieux, émerveille dans ses dessins rapides et vibrants. Charles Baudelaire l’avait élevé au rang des plus grands : « Quel est donc ce je ne sais quoi de mystérieux que Delacroix, pour la gloire de notre siècle, a mieux traduit qu’aucun autre ? C’est l’invisible, c’est l’impalpable, c’est le rêve, c’est les nerfs, c’est l’âme ; et il a fait cela, — observez-le bien, monsieur, — sans autres moyens que le contour et la couleur ; il l’a fait mieux que pas un ; il l’a fait avec la perfection d’un peintre consommé, avec la rigueur d’un littérateur subtil, avec l’éloquence d’un musicien passionné » (L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix). La sensibilité romantique du poète trouvait dans le pinceau du peintre un étonnant écho. Baudelaire connaissait-il la Résurrection de Lazare de celui qu’il qualifiait de « peintre-poète » ? Il l’aurait assurément aimé. C’est en 1850 que Delacroix l’exécute. Nous en connaissons un dessin préparatoire, conservé au musée du Louvre, qui prouve que le peintre s’est attaché à simplifier sa composition, à la débarrasser de tout élément superflu, abandonnant la foule nombreuse qui accompagnait le Christ dans cette première composition, pour se limiter à huit personnages. La scène se déroule dans un tombeau : le Christ est descendu, sans doute par la longue volée de marches qui crée une trouée lumineuse, à la droite de l’œuvre, pour s’approcher du tombeau de son ami Lazare. Il est accompagné de Marthe et de Marie, et d’un de ses disciples : ils forment au centre de l’œuvre le cercle de l’amitié et de la fraternité. Trois personnages masculins les accompagnent : le premier, de dos, au premier plan, soulève la lourde dalle du tombeau. Le second, qui l’a sans doute aidé, recueille le corps de Lazare : il le contemple avec étonnement et émerveillement, admirant la résurrection qui s’opère dans ses bras. Le troisième, derrière le Christ, approche sa tunique de son visage, sans doute pour se protéger de l’odeur nauséabonde. Lazare s’éveille. La position de son corps, bras écartés, poings presque fermés, jambes pliées, et l’expression de son visage, yeux ouverts, attestent qu’il sort du sommeil de la mort. La composition est ordonnée par les jeux de répons chromatiques qui dessinent une diagonale : le blanc du linceul dans lequel Lazare avait été enseveli, celui de la tunique du Christ et les rouges, si fréquents chez Delacroix, de la tunique de l’homme qui tient Lazare et du manteau du Christ. L’œil parcourt la toile en suivant le récit : c’est le dialogue entre le Christ et Lazare qui est le cœur de l’œuvre. En réduisant le nombre de personnages, en rythmant sa toile, tel un compositeur, par les gestes et les couleurs, Delacroix nous permet de pénétrer au plus profond de ce vestibule du sanctuaire de la Semaine sainte. Il faut descendre au tombeau pour ressusciter. S’abaisser pour être élevé. Quelle merveilleuse leçon spirituelle que la résurrection de Lazare ! 

Puissions-nous, en contemplant cette œuvre magistrale de Delacroix, écouter le Christ nous redire « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. »

Sophie Mouquin

Maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Lille.

 

La Résurrection de Lazare (1850), Eugène Delacroix (1798-1863), Bâle (Suisse), musée d’art. © akg-images / Liszt Collection.

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