L’Apparition du Sacré-Cœur (1750), Robert Bichue (1704-1789),
Le mois de juin, riche en fêtes liturgiques, est marqué cette année, de manière particulière, par celle du Sacré-Cœur. Célébrée le 27 juin 2025, la solennité du Sacré-Cœur de Jésus clôture en effet le jubilé des 350 ans des apparitions de Jésus à sainte Marguerite-Marie Alacoque.
Sous le signe du cœur de Jésus
Peinte il y a deux cent soixante-quinze ans par un peintre normand, Robert Bichue, L’Apparition du Sacré-Cœur célèbre la consécration de la ville de Marseille au Sacré-Cœur lors de la peste de 1720. « Tous ceux qui prieront et adoreront le Sacré-Cœur divin obtiendront tout ce qu’ils demanderont. Sitôt que l’on eut invoqué ce Sacré-Cœur pour arrêter la peste de Marseille et d’ailleurs, elle s’arrêta l’an 1720. Il y a bulle et indulgence du pape Clément XI en 1726. La fête du Sacré-Cœur de Jésus est mise le premier vendredi qui suit l’octave du St Sacrement. Dite [sic] un Pater et un Ave Maria pour celui qui a donné ce tableau. » Sans cette inscription, il eût été bien difficile d’identifier le sujet, qui exalte à la fois le Sacré-Cœur et son intercession. Robert Bichue ne représente ni le lieu, ni les cadavres en putréfaction qui jonchaient les rues de Marseille. Sous le regard du Père et de l’Esprit, le Christ apparaît, montrant son cœur à une foule agenouillée, que l’on devine nombreuse : des chartreux, un prélat, Mgr de Belsunce, et des fidèles l’implorent. Peint en 1750, le tableau commémore l’un des moments les plus terribles de l’histoire de Marseille. Le 25 mai 1720, le Grand-Saint-Antoine, un navire marseillais qui revenait de Syrie chargé de soieries et de coton, accoste. L’équipage respecte la quarantaine, mais celle des marchandises, qui devaient être vendues à la foire de Beaucaire, est écourtée. L’épidémie se propage très rapidement et gagne la Provence. Henri-François-Xavier de Belsunce (1670-1755), figure éminente de l’épiscopat français du xviiie siècle, qui s’était déjà illustré en s’opposant vigoureusement aux jansénistes, fait preuve d’un courage admirable. Secourant les malades, distribuant les aumônes, il se dévoue sans relâche. « À Dieu ne plaise que j’abandonne une population dont je suis obligé d’être le père. Je lui dois mes soins et ma vie, puisque je suis son pasteur ». Il consacre la ville au Sacré-Cœur le 1er novembre 1720. L’année suivante, la Fête-Dieu rassemble cinquante mille fidèles. Un regain de l’épidémie empêche la procession en 1722. Sur la suggestion d’une visitandine, Anne-Madeleine Rémusat (1696-1730), Mgr de Belsunce expose le Saint-Sacrement sur la terrasse de l’église des Accoules, et implore la clémence du ciel. « Quelle main plus courageuse et plus pure pouvait faire descendre sur tant de malheurs les bénédictions du ciel », résumait François-René de Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe.
Abîme d’amour et de miséricorde
C’est donc à l’action conjuguée d’Anne-Madeleine Rémusat et de Mgr de Belsunce que l’on doit la consécration de la ville de Marseille au Sacré-Cœur. La visitandine, « apôtre du Sacré-Cœur », avait fondé en 1717 l’Association de l’adoration perpétuelle du Sacré-Cœur de Notre Seigneur Jésus Christ. Lorsque la ville est consacrée au Sacré-Cœur, quelques années plus tard, Anne-Madeleine Rémusat répand des scapulaires portant l’inscription : « Ô Cœur de Jésus, abîme d’amour et de miséricorde, je mets en vous toute ma confiance et j’espère tout de votre bonté. » La religieuse, qui ne figure pas sur le tableau de Bichue, fait figure de successeur de Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), qui avait reçu au couvent de la Visitation de Paray-le-Monial, où elle avait prononcé ses vœux perpétuels en novembre 1672, plusieurs apparitions du Christ. Jésus lui montre son cœur et la fait reposer sur sa poitrine : « Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes et pour toi en particulier que, ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande par ton moyen. » En juin 1675, lors d’une troisième apparition, le Christ lui demande l’instauration d’une fête universelle de son cœur : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour. » Le roi de France resta sans doute sourd à sa demande de consacrer la France au Sacré-Cœur, mais la pratique de l’Heure Sainte se répandit et la fête du Sacré-Cœur fut instituée. L’année jubilaire qui se clôture en juin 2025 permet de faire mémoire du trésor inestimable que Marguerite-Marie Alacoque, puis Anne-Madeleine Rémusat et tous ceux qui ont reçu des grâces du cœur de Jésus, nous ont transmis. L’expérience spirituelle de Marguerite-Marie, comme le rappelle le père Étienne Kern, recteur de Paray-le-Monial, confère à ce sanctuaire des grâces particulières : le repos, la consolation, la puissance de l’Esprit Saint, la miséricorde et le feu de la mission. Allons y puiser ces grâces, et prions :
Seigneur Jésus, tu as révélé à sainte Marguerite-Marie ton Cœur si passionné d’amour pour tous les hommes et pour chacun en particulier. Aujourd’hui, tu nous invites à puiser à la source de ton Cœur, qui demeure plus que jamais ouvert.
Dans ce sacrement de l’Amour qu’est l’Eucharistie,
Nous t’offrons nos fatigues et nos lassitudes : donne-nous le repos ;
Nous t’exposons nos souffrances et nos blessures : console-nous et guéris-nous ;
Nous te présentons notre dureté de cœur : transforme-nous dans la douceur et l’humilité ;
Nous déposons devant toi nos ingratitudes et nos indifférences : que nous te rendions amour pour amour ;
Nous te disons notre soif de t’aimer et de t’annoncer : envoie-nous dans la puissance de ton Esprit Saint.
Seigneur, nous nous consacrons à ton Cœur, fournaise ardente de charité (se recueillir en silence). Fais de nous des instruments qui attirent les cœurs à ton Amour. Brûle-nous de ta compassion pour témoigner au monde de ce Cœur qui nous a tant aimés.
Amen.
Sophie Mouquin
Pour aller plus loin
– Frédéric Jacquin, Marseille malade de la peste (1720-1723), Paris, Puf, 2023.
– Régis Bertrand, Henri de Belsunce (1670-1755). L’Évêque de la peste de Marseille, Marseille, Gaussen, 2020.
– Benoît Guédas, Dans le Cœur de Jésus, Sainte Marguerite-Marie, maîtresse de vie spirituelle, Paris, éditions Emmanuel, 2022.
– Édouard Glotin,Voici ce Cœur qui nous a tant aimés, Paris, éditions Emmanuel, 2003.
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