Magnificat

Sainte Joséphine Bakhita

Par Père Dominique-Marie Dauzet

Par Père Dominique-Marie Dauzet

Le 1 février 2023

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© Alban de Châteauvieux

F Fêtée le 8 février

Un soir de 1910, au couvent des sœurs canossiennes de Schio, en Vénétie, sœur Joséphine Bakhita, 40 ans, qui ne sait pas écrire l’italien, dicte ses souvenirs à une de ses sœurs. Les trente et une pages serrées racontent une des plus extraordinaires histoires de la sainteté chrétienne.

Bakhita est née dans le Darfour, au Soudan, vers 1869. À l’âge de 7 ans, elle a été arrachée aux siens par des négriers musulmans qui vendaient les enfants sur le marché, commerce humain florissant. Le long martyre commence. La jeune esclave passe aux mains de maîtres cruels successifs, s’enfuit dans la forêt infestée de tigres, est reprise. À 10 ans, elle est vendue à un général turc, et sert à la fois sa mère, sa femme et sa fille, des femmes exigeantes, dures : les coups pleuvent. Elle subit le supplice du « tatouage » : dans sa chair, les traits dessinés par le rasoir sont remplis de sel afin que les plaies ne se referment pas et que le dessin reste gravé pour toujours. Bakhita gardera dans son corps 114 cicatrices de ce traitement barbare. Et cependant, au fond de la détresse, une « présence bienfaisante qui l’entoure de tendresse » se manifeste en elle ; aucun nom, aucun visage, elle ne connaît pas Dieu, mais chaque fois, dira-t-elle plus tard, il l’aidait à se relever.

Enfin, la lumière perce dans les ténèbres de sa servitude. Bakhita, qui a maintenant 14 ans, est achetée par le consul d’Italie, Calisto Legnani, qui l’emmène à Khartoum. Cette fois, le maître est humain ; il offre un crucifix à Bakhita, c’est le premier cadeau de sa vie, elle ne connaît pas le Christ, mais elle est émue. En 1884, il l’emmène avec lui en Italie, et la confie à des amis vénitiens qui vont avoir un enfant. À 17 ans, Bakhita passe donc au service de ces nouveaux maîtres, et élève la petite Mimmina. C’est alors qu’elle fait connaissance avec les Filles de la charité canossiennes, où elle-même et l’enfant sont mises en pension. La bonté des sœurs la touche infiniment ; elle est baptisée le 9 janvier 1890 avec le nom de Joséphine. Elle a enfin trouvé le bon maître, Jésus. En 1893, elle franchit un nouveau pas, espérant qu’on ne refusera pas une Africaine dans la communauté. Ce désir occasionnera la tenue d’un procès qui l’affranchira, l’esclavage n’existant pas en Italie.

Admise au noviciat, la « petite mère noire » (la madre moretta) fait au contraire la joie de tous. En 1902, elle est nommée au couvent de Schio, où elle vivra quarante-cinq ans. Que dire ? Elle prie, elle travaille, elle aime. Elle est simple, pas obsédée par la perfection : elle fait de son mieux, dit-elle, et le bon Dieu – qu’elle appelle le « Patron » – fait le reste. Sœur Bakhita est cuisinière, et sa cuisine devient le cœur du couvent, où les petits orphelins sont accueillis tendrement. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les villes italiennes sont bombardées : à Schio, pas un obus sur le couvent ou le village. Sœur Bakhita n’a pas peur : « Dieu m’a libéré des tigres et des panthères, et il nous enverrait des bombes ? » Elle meurt en 1947, ayant pardonné depuis longtemps aux bourreaux de son enfance : « Ils ne savaient pas quel mal ils faisaient. » Elle est canonisée par saint Jean-Paul II en 2000. n

À l’écoute de Joséphine Bakhita

Avant le baptême, je disais : « Je pourrai moi aussi être enfant du Seigneur ? Et Lui m’aimera ? Il m’aimera, moi, la pauvre négresse qui n’a rien à lui offrir ? » Mais je pus connaître ce Dieu que, depuis toute petite, je sentais dans mon cœur sans savoir qui c’était. Et puis quand j’ai compris que le Seigneur m’appelait à la vie religieuse, j’ai beaucoup souffert, parce que je ne savais pas comment m’expliquer : je me sentais indigne et, comme j’étais de race noire, j’étais convaincue que j’aurais défiguré l’institut et qu’on ne m’accepterait pas. Je me souviens que j’ai prié la Madone, qui m’a donné la force de raconter à mon confesseur la lutte qui durait en moi depuis deux ans.

Extrait du Journal. De la servitude à la sainteté

(Le père Dominique-Marie Dauzet est religieux prémontré de l’abbaye de Mondaye (Calvados). Prêtre, théologien et historien des religions, il est notamment l’auteur de plusieurs vies de saints et d’ouvrages d’histoire de la spiritualité.

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Père Dominique-Marie Dauzet

Le Christ à la mer de Galilée, Circle of Jacopo Tintoretto (Probably Lambert Sustris), Anonymous Artist - Venetian, 1518 or 1519 - 1594. © National Gallery of Art, New-York