Alban de Châteauvieux
Fêté le 5 avril
Nous sommes le 3 octobre 1398. Voilà trois jours que Maître Vincent est malade. Le Grand Schisme qui déchire l’Église depuis vingt ans est devenu un spectacle insoutenable au dominicain originaire de Valence (Espagne), une blessure telle qu’il se trouve désormais aux portes de la mort. « Vous devriez préférer de vivre le reste de vos jours dans l’indigence plutôt que de voir régner la division et la discorde parmi les brebis du Seigneur », a-t-il conseillé au pape d’Avignon Benoît XIII qui l’a nommé grand pénitencier et maître du sacré-palais. En vain. Ses efforts pour convaincre le pape avignonnais de renoncer à sa charge en vue de rétablir l’unité de l’Église ont échoué.
Une vision, une mission
Dans son couvent qu’il a regagné après avoir quitté le palais pontifical, le religieux est à l’agonie. C’est alors que le Seigneur lui apparaît, entouré de saint François et de saint Dominique. « Console-toi, la paix va être rendue à l’Église, lui annonce-t-il avant de l’envoyer prêcher à travers le monde. Parcours ces contrées dans l’humilité et la pauvreté, en disant : Le jour de la justice et de la vengeance est proche ; pécheurs, faites pénitence de vos crimes. » Le Seigneur le touche puis disparaît. À l’instant même, Vincent se lève, guéri. À 48 ans, il se sait désormais investi de la mission de préparer les peuples au jugement de Dieu, de se faire tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns (cf. 1 Co 9, 22). Le 22 novembre 1399, il quitte Avignon et s’élance dans un périple apostolique à travers l’Europe qui durera jusqu’à sa mort, à Vannes, en 1419.
L’esprit de douceur
De cité en cité, de village en village, Maître Vincent célèbre la messe, prêche et confesse. Il organise le soin des malades – la peste, en effet, sévit – et veille aussi à la catéchisation des enfants. Il sème des miracles sur son passage. En bon disciple du Crucifié, « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29), il sait bien que la Vérité ne régnera pas par la force, mais par son propre pouvoir. Que le royaume de Dieu ne grandit que par attraction, jamais par contrainte. « C’est par l’esprit de douceur que vous ferez du bien à vos auditeurs », il en est convaincu. Aussi les foules qui l’écoutent ne sont-elles pas saisies d’effroi, mais de joie, celle-là même qui irradie de son visage. La joie de la conversion. D’ailleurs, nombre de convertis s’attachent au prédicateur au point de le suivre, lui et sa petite équipe, dans son inlassable pérégrination.
Frère Vincent n’est donc pas un père fouettard, un imprécateur fanatique qui menace ou intimide. Il n’exerce pas cette pastorale de la peur qui place les chrétiens devant l’alternative angoissante entre le salut ou la damnation. S’il annonce la fin du monde et l’imminence du jugement final, ce n’est pas pour terrifier les gens, ni les rendre serviles, mais pour les toucher en plein cœur, pour réveiller en eux la foi et le désir de se convertir. S’il condamne fermement, sévèrement le péché, par amour de la vérité, il embrasse le pécheur qui se repent, par miséricorde. Jésus lui-même n’a-t-il pas pardonné à ceux qui l’ont cloué sur le bois de la croix ? n
À l’écoute de Vincent Ferrier
« Dans les sermons et les exhortations, […] partez d’exemples concrets afin que le pécheur, chargé des péchés que vous reprenez, se sente atteint en plein cœur. Mais parlez de telle sorte que vos paroles paraissent sortir non d’une bouche orgueilleuse et hostile, mais bien des entrailles de la charité et d’une compassion paternelle. Soyez comme un père qui s’apitoie sur ses enfants coupables, qui les pleure quand ils sont malades, qui se désole quand ils sont tombés dans une fosse profonde, et qui fait tous ses efforts pour les délivrer de ces périls. Ou plutôt ayez le cœur d’une mère qui caresse ses enfants. Et réjouissez-vous de leurs progrès et de l’espérance qu’ils ont de mériter la gloire du Paradis. L���esprit de douceur. C’est par l’esprit de douceur que vous ferez du bien à vos auditeurs. »
Traité de la vie spirituelle
(Journaliste, Marie de Chamvres collabore régulièrement à Magnificat.