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Les trésors de la rédaction

Abraham, le père des croyants

Par Nathalie Nabert

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Extraction, détachement, élection divine et fondation, tels sont les enjeux, en apparence contradictoires, d’une postérité proposée à un vieil homme de 75 ans sans descendance.

Abraham apparaît dans le livre de la Genèse, tout d’abord sous le nom d’Abram, et voit sa légende se forger à partir de ce seul texte et des mentions qui en sont faites ailleurs, dans le Nouveau Testament et dans les traditions juive et musulmane, où il est considéré, d’une part, comme le père du judaïsme et d’autre part, comme un des grands prophètes de l’Islam. Abraham est une figure forte de la foi et un père tutélaire à vocation universelle. Son histoire et ses prolongements dans les documents néotestamentaires font apparaître trois étapes fondamentales d’une vie dédiée à Dieu à travers la nuit de la foi, l’alliance avec Dieu et l’épreuve de la foi.

La nuit de la foi

Le terme « nuit de la foi » doit être considéré ici au sens d’abandon immédiat et inconditionnel à la volonté de Dieu, n’impliquant aucune connaissance raisonnée préalable, mais la cécité paisible de l’adhésion. Telles furent bien les conditions des premières initiatives d’Abram qui répond à l’appel de Dieu (cf. Gn 12, 1-3) d’abandonner son pays, sa parenté et sa demeure pour se rendre vers un pays inconnu, fonder une grande nation et recevoir la bénédiction de ceux qui le suivront. Extraction, détachement, élection divine et fondation, tels sont les enjeux, en apparence contradictoires, d’une postérité proposée à un vieil homme de 75 ans sans descendance, puisque son épouse Saraï est stérile. Dans ce premier texte vocatif, c’est la puissance d’abnégation d’Abram qui apparaît et qui sera la cheville ouvrière de sa destinée future.

L’engagement vers l’inconnu, sans autre promesse qu’une bénédiction, est un acte de liberté et d’autorité dans le cœur de l’homme qui le prépare à assumer ce qu’il est et ce que le nom d’Abram désigne en premier, à travers la fragilité de l’homme, nom théophore au sens de « père exalté ». Saint Paul, qui fut le promoteur de l’image de vrai croyant d’Abraham, se souvient-il aussi de cela lorsqu’il écrit : Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (2 Co 12, 10) ?

L’alliance avec Dieu

Deux autres événements demeurent forts dans la destinée d’Abram, ils signent son alliance avec Dieu et font de lui le modèle de l’hospitalité. Alors qu’il a 99 ans, qu’il a engendré Ismaël avec sa servante, à la demande de sa femme stérile (cf. Gn 16), Dieu lui apparaît de nouveau, lui intime la perfection, conclut une alliance avec lui, ordonne la circoncision des enfants mâles de sa descendance et lui annonce qu’il lui fera porter des fruits à l’infini (Gn 17, 1-22), dont un fils Isaac enfanté avec Saraï âgée de 90 ans (cf. v. 16). Et pour sceller cette alliance, Dieu change le nom d’Abram en Abraham, père d’une multitude de nations (v. 5), et de Saraï en Sara, Princesse (v. 15), faisant ainsi glisser le poids de sa divinité dans la chair faillible de l’homme et l’oignant de sa grâce à travers le baptême du nom. Tout comme le fera Jésus en renommant Simon Képhas, en araméen, ce qui signifie Pierre (Jn 1, 42), socle sur lequel il fondera son Église, comme pour indiquer cette perméabilité entre le divin et l’humain et l’immutabilité de la présence de Dieu.

Avec la visite des trois étrangers aux chênes de Mambré (cf. Gn 18, 1-10), son accueil bienveillant et quasi eucharistique, qui fera de lui le prototype du philanthrope recevant l’étranger à l’égal des siens, Abraham devient une figure universelle de l’amour et de l’acceptation devant la promesse de descendance réitérée par les trois visiteurs.

L’épreuve de la foi

Fallait-il alors, devant cette totale oblation, mettre Abraham à l’épreuve du sacrifice ? À bien des égards, l’ordre que lui adresse Dieu de sacrifier son fils unique nous rebute et suscite notre interrogation (cf. Gn 22, 1-19). Et pourtant, le Me voici d’Abraham préfigure la résolution du Christ au jardin des Oliviers et se fait l’exact contraire du triple reniement de saint Pierre (cf. Lc 22, 33-34 et 54-62), d’où sa valeur d’exemplarité. Car, c’est bien dans l’exécution immédiate et silencieuse d’Abraham – aucun vacillement, aucun reproche, aucune tentative d’argumentation – que se jouent la liberté de la foi et la hauteur sereine de sa pénétration de la sagesse divine.

Abraham touche les deux infinis du temps, comme patriarche, et du divin, comme figure tutélaire de l’humanité dont la vraie naissance ne peut être qu’en Dieu et par Dieu, sans réserve ni peur.

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Nathalie Nabert

Nathalie Nabert, laïque et mère de famille, est poète, doyen honoraire de la faculté des lettres de l’Institut catholique de Paris, professeur de littérature médiévale, fondatrice du CRESC, « Centre de recherches et d’études de spiritualité cartusienne », et de la collection « Spiritualité cartusienne » chez Beauchesne. MGF no 292, mars 2017

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