Les trésors de la rédaction

Chanter avec le Christ

Par Olivier Praud

Partager sur :

Comme chaque année, la liturgie de la Toussaint ouvre l’itinéraire que nous allons suivre durant ce mois de novembre. Ce chant des anges, adressé à Dieu, résonne comme une invitation à découvrir notre raison d’être de baptisés.

« Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! [1] »

Comme chaque année, la liturgie de la Toussaint ouvre l’itinéraire que nous allons suivre durant ce mois de novembre. Ce chant des anges, adressé à Dieu, résonne comme une invitation à découvrir notre raison d’être de baptisés : louer et chanter la gloire de Dieu ! Dans les temps actuels, cette mission peut sembler au mieux accessoire, au pire inutile. Les chantres du pragmatisme nous rappelleraient vite à l’ordre : comment chanter devant tant de souffrances ou d’épreuves, devant la mort ou la faillite de nos espérances ? Le chant est-il finalement nécessaire en liturgie ?

Pour esquisser une réponse, nous pourrions peut-être aller voir du côté de Lourdes où, en novembre se rassemblent les chanteurs, choristes et chefs de chœurs de l’Association nationale des chorales liturgiques [2]. Près de cinq mille hommes et femmes, de tous âges et venus de toute la France, chantent et louent le Seigneur de tout leur cœur. Ils approfondiront le sens de leur engagement, souvent humble et discret, au service de la liturgie de nos assemblées dominicales ou des différents moments de la vie d’une communauté humaine et chrétienne.

Se tenir ensemble et se reconnaître croyant

Le chant apparaît, dans une première approche, comme un vecteur d’unité et de rassemblement. Il va ainsi constituer l’assemblée en suscitant l’unité de ses membres. Il s’agit bien de se tenir ensemble dans une même foi, et saint Augustin en donne un sens plus profond : « C’est la voix du peuple de Dieu que nous avons entendue dans les lamentations du psaume, et vous avez été bouleversé en l’entendant, car vous en êtes. Ainsi, ce qui est chanté par un seul résonne dans les cœurs de tous. Bienheureux ceux qui, dans ces voix multiples comme dans un miroir, se reconnaissent [3]. » La diversité des formes musicales tient alors d’une saine diversité. Tout le monde n’a pas besoin de tout chanter pour dire l’unité, voire certains peuvent se tenir dans le silence. Les différents visages de l’assemblée vont alors se révéler dans leur richesse. L’acte de chant nous invite à nous reconnaître mutuellement comme croyants. Et c’est cela, le premier pas de l’unité. Au matin de la fête de la Dédicace, le 9 novembre, l’hymne nous fera chanter la source de notre être ensemble : « Dieu avec nous, Dieu en nous, nous sommes le Corps du Christ [4] ! »

La voix de l’Église

Cette unité se déploie alors comme une grâce ecclésiale. Ce qui est sacré par excellence, en toute liturgie, ce n’est pas la musique, mais la voix de l’assemblée. « La voix des baptisés dans l’exercice du culte est sacrée, de la sacralité même du sacrement. Leur voix chantante n’est rien qu’un souffle mortel [qui s’éteint], promesse d’un bonheur selon le pacte de la foi [5]. » Car en tout acte vocal – chant comme dialogue et réponses – en liturgie, elle est la voix des hommes et des femmes qui s’expriment en vertu de leur baptême qui les rend participants à la dignité du Christ, prêtre, prophète et roi ! L’acte de chant de l’assemblée devient ce sacrifice des lèvres et du cœur que nous offrons en chaque célébration, en rendant grâce à Dieu pour ses merveilles. Cette voix de l’assemblée se révèle alors, sacramentellement, comme la voix de l’Église, voix de l’Épouse qui s’unit à l’Époux, pour adresser au Père la véritable louange. Le chant chrétien veut que mots et mélodies deviennent ceux du Fils, qui les offre à son Père dans le souffle de l’Esprit qui les unit.

La foi sur son axe d’expression

L’expérience de la liturgie a ceci de particulier qu’elle nous replonge sans cesse dans cette situation première : entendre la Parole et la proclamer dans le même mouvement. Ce n’est pas une routine fastidieuse, mais bien une plongée sans cesse renouvelée dans la condition première de notre foi. Elle est un ouï-dire, c’est-à-dire conjointement un « entendre-annoncer ». Comme le rappelle Paul dans sa lettre aux Romains : Fides ex auditu. La foi naît de ce que l’on entend ; et ce que l’on entend, c’est la parole du Christ (Rm 10, 17). La première fonction du chant est bien de nous rappeler constamment que la Bonne Nouvelle doit être annoncée pour être entendue dans le monde.

Le chant liturgique prend alors une nouvelle dimension. En le replaçant sur l’axe de l’expression de la foi, pas seulement parce qu’il faudrait la montrer et l’exprimer, mais tout simplement parce que le chant dans son acte même, au-delà ou en deçà du sens des mots et de la mélodie, trace le chemin pour un itinéraire sonore de la foi. La parole évangélique est « une parole qui interpelle, qui a pris figure dans la vie de Jésus, le Verbe fait chair, et qui engendre celles et ceux qui lui prêtent l’oreille à une manière nouvelle de voir et d’entendre le réel [6] ». Pour être reçue, cette parole suppose en l’homme une capacité d’accueil, mais également une correspondance avec notre nature profonde. L’expérience musicale peut ainsi nous dévoiler cette « parenté intérieure » qui caractérise le chemin que la musique trace en nous et celui qu’emprunte le Verbe pour être reçu.

Entrer dans le chant du Fils

Finalement, le chant en liturgie a pour objet de nous faire entrer dans le chant du Fils, chant qu’il adresse au Père dans la puissance de l’Esprit. Comme le rappelle Cyprien de Carthage, « il faut que le Père reconnaisse les paroles de son Fils, quand nous prions. Le Fils qui habite dans nos cœurs doit être aussi dans nos paroles ! […] Si nous prions au nom du Christ, mais aussi en prenant ses paroles, est-ce que nos prières ne seront pas plus efficaces encore [7] ? » Aussi, la voix frêle de la jeune femme qui lit pour la première fois à la messe ou celle, plus assurée, du chantre qui entonne l’acclamation à l’Évangile ou, tout simplement, les voix mêlées les unes aux autres pour dire « Notre Père » dans l’oraison dominicale, deviennent liturgiquement la voix « humaine » du Fils, voix que le Père écoute et accueille, murmure léger de son Esprit à l’œuvre dans le monde. Alors, dans une communion toujours renouvelée, la voix de mon voisin et de ma voisine n’est plus gênante ni agaçante, elle est le fragile reflet de ma propre énonciation, à la fois acte de chant et acte de foi.

Nul doute que les chanteurs liturgiques réunis à Lourdes nous proposeraient de déceler dans la liturgie elle-même ce que révèle la mission et la place du chant et de la musique dans le culte chrétien. Une préface nous offre justement d’en découvrir la nécessité : « Tu n’as pas besoin de notre louange, [Seigneur,] et pourtant c’est toi qui nous inspires de te rendre grâce. Nos chants n’ajoutent rien à ce que tu es, mais ils nous rapprochent de toi [8]. » Chanter n’est pas nécessaire, mais transfigure tout. Chanter est de l’ordre du don gracieux que Dieu nous fait pour le rejoindre dans la beauté qui est sienne.


[1]. Ap. 7, 12.
[2]. www.ancoli.com
[3]. Saint Augustin, Sur Jean, X, 7
[4]. Hymne de la Dédicace, 9 novembre, CFC / CNPL.
[5]. Jean-Yves Hameline, Poétique du rituel, Paris, Cerf, p. 156.
[6]. Philippe Charru, Quand le lointain se fait proche : la musique, une voie spirituelle, Paris, Seuil, 2011, p. 65.
[7]. Cyprien de Carthage, Le Notre Père, coll. « La Manne des Pères », n°9, Le Coudray-Macouard, éd. Saint-Léger, 2014, n°4.
[8]. IVe préface commune.

©MGF no 324, novembre 2019

Partager sur :

Olivier Praud

Le père Olivier Praud, prêtre du diocèse de Luçon, enseigne la théologie à l’Institut catholique de Paris.

Mgr Timothy Verdon

La prière dans l'art

Un magnifique parcours spirituel et artistique

« Le désir de voir Dieu n’est pas une simple curiosité, mais une impulsion profonde de la foi chrétienne. « Le verbe s’est fait chair, il a habité parmis nous, et nous avons vu sa gloire » (Jn 1, 14). »

Monseigneur Timothy Verdon est l’un des historiens de l’art chrétien les plus respectés. Diplômé de l’Université de Yale, il vit en Italie depuis plus de 50 ans. Chanoine de la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence, il y dirige le service diocésain d’art sacré ainsi que le musée de la Cathédrale (Museo dell’Opera del Duomo).

Relié – Tranchefile et jaquette – 272 pages – 22 x 29 cm – 39€

9 jours avec Saint Joseph

retraite en ligne

9 jours avec Saint Joseph

Chaque jour, laissons-nous guider par saint Joseph dans tous les aspects de notre vie !

Chaque matin, plongez au cœur de la lettre apostalique Patris corde.

Chaque soir, prenez le temps de méditer.