Les trésors de la rédaction

Chemin de croix 2025 – Romano Guardini

Par Romano Guardini - Martin Feuerstein

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La souffrance humaine a atteint son sommet dans la passion du Christ. Et, simultanément, elle a revêtu une dimension complètement nouvelle et est entrée dans un ordre nouveau : elle a été liée à l’amour, à l’amour dont le Christ parlait à Nicodème, à l’amour qui crée le bien, en le tirant même du mal, en le tirant au moyen de la souffrance, de même que le bien suprême de la Rédemption du monde a été tiré de la Croix du Christ et trouve continuellement en elle son point de départ (Salvici doloris, n° 18). St Jean-Paul II

À qui le fait, le chemin de croix découvre toujours des trésors nouveaux. Tantôt c’est une station qui touche, tantôt une autre. Longtemps ce tableau ne dira rien, qui inspirera soudain, à la suite d’on ne sait quelle expérience religieuse. Des scènes illuminent de leur mystérieuse clarté des années entières… à confier à Jésus dans le chemin de croix ses épreuves, ses angoisses, ses doutes, on bénéficie souvent de lumières insoupçonnées, de consolations inespérées.

Mais cette dévotion présente avant tout une double leçon.

Elle enseigne à compatir aux souffrances du Christ : marcher avec Lui, porter la croix à ses côtés découvre l’immense amour du Rédempteur en même temps que la grandeur de nos fautes. Nous y apprenons le repentir, en attendant, qui sait ? un redressement total.

Elle enseigne aussi à vaincre la douleur… à voir Jésus aux prises avec les pires souffrances, et du corps, et de l’âme ; à l’en voir triompher par amour du Père et de nos âmes, nous apprenons à faire de même…


Station I – Jésus est condamné à mort

Pilate, voulant contenter la foule, relâcha Barabas et, après avoir fait flageller Jésus, il le livra pour qu’il soit crucifié (Mc 15,15).

Jésus se tient devant le tribunal. Ceux qui l’accusent sont des menteurs. Le juge manque de caractère. La procédure se moque de tout droit. Par ce tribunal, le Seigneur est reconnu coupable d’un grand crime. Le châtiment en est aussi honteux qu’effroyable.

Pourtant, Jésus sait quelle fut la pureté de ses intentions ; combien il a aimé ce peuple et s’est dépensé pour son salut. Aussi, comme cette injustice formidable et l’étourderie de cette sentence doivent faire frémir jusqu’aux fibres le cœur du Maître…

Comme le sens de la justice se cabrerait en moi si l’on voulait m’imposer un châtiment injuste ! Et je sais bien me défendre contre les coups qui ne me semblent pas mérités. Dieu voit pourtant combien j’ai failli ! … Que la misérable comédie de ce tribunal doit donc atteindre le Seigneur jusqu’à la moelle… Pourtant il se tait. Il accepte l’arrêt, librement, car il y voit la sainte volonté du Père et la rançon de notre salut.

Cependant, tout ce qui va suivre n’est que dureté, amertume, injustice, iniquité…

Seigneur, Tu as marché le premier, m’indiquant la route à suivre. Apprends-moi à T’imiter quand mon heure viendra. Si l’on me commande ou me reprend d’un ton dur, montre-moi ce qui le mérite et enseigne-moi à oublier ce qui est injuste.

Si le devoir me semble un jour insupportable, j’y reconnaîtrai la volonté du Père pour obéir.

Si me viennent des peines que j’estime ne pas mériter, apprends à mon âme à se résigner comme Tu l’as fait. Et si quelque injustice criante m’atteint, oh ! daigne Ta grâce m’aider à me taire, absolument, au moins une fois, et à laisser au Père le soin de me justifier.


Station II – Jésus est chargé de sa croix

Ils se saisirent de Jésus. Et lui-même, portant sa croix, sortit en direction du lieu dit
Le Crâne (ou Calvaire), qui se dit en hébreu Golgotha (Jn 19, 16b-17).

Le jugement est rendu. Jésus l’a écouté sans un mot. Et voici qu’on apporte la croix: le condamné doit s’en charger lui-même jusqu’au lieu du supplice. Le Seigneur reçoit le bois de douleur : il ne se le laisse pas imposer, résigné ; non, il le prend, résolu.

Ici, point d’enthousiasme aveugle. L’heure qui suit, devant l’âme de Jésus, se tient rigoureuse et dure en toute son horreur. Il ne s’illusionne sur rien. Ce qui le pousse, ce n’est pas davantage l’énergie du désespoir : le Seigneur est absolument libre, libre de toute crainte.

C’est la mission du Père qu’il voit dans la croix, notre salut. Il la veut de toutes les forces de son cœur. Ainsi, son âme va dans la lumière, prête. Il marche au-devant de la croix et la saisit, résolu.

Seigneur, autre chose est de dire aux heures faciles : « Je suis prêt à tous les vouloirs de Dieu » ; autre chose d’être vraiment prêt quand la croix vient. Le cœur souvent, alors, se sent défaillir et craint ; et toutes les bonnes dispositions s’évanouissent.

Aide-moi à tenir ferme quand il le faudra. Peut-être la croix est-elle déjà là, ou du moins guère loin. Qu’elle vienne quand elle voudra, je serai prêt !

Rends-moi fort et courageux : que je ne me lamente ni ne me raidisse devant l’inévitable ! Que je le regarde courageusement en face, y reconnaissant l’appel du Père. Donne-moi la ferme confiance que cette souffrance est pour mon bien, et la ferme confiance pour l’accueillir résolument. Si j’y réussis, beaucoup de mon amertume aura disparu…


Station III – Jésus tombe pour la première fois sous la croix

« Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24).

Il a manqué de sommeil toute la nuit, et depuis hier soir il n’a rien mangé. On l’a traîné d’un tribunal à l’autre. La douleur et les pertes de sang l’ont affaibli. Toute la vilenie des hommes l’a tourmenté. Le Seigneur est terriblement las. La croix est trop lourde pour lui. Le fardeau dépasse ses forces. Il la traîne, les genoux tremblants, jusqu’à une certaine distance ; et, soit qu’une pierre le fasse trébucher, soit que dans la cohue quelqu’un le heurte, il s’abat.

Que brutal est un homme en ces occasions ! Rires, moqueries, coups pleuvent sur le malheureux étendu.

Dès qu’il le peut, Jésus se relève, soulève péniblement la croix sur ses épaules meurtries et poursuit sa route.

Seigneur, la croix est trop lourde pour Toi : cependant, Tu la portes parce que le Père le veut ainsi, pour nous. Son poids dépasse Tes forces : pourtant Tu ne la rejettes pas. Tu tombes : pourtant, Tu te relèves et la portes encore. Fais-moi comprendre qu’un moment ou l’autre toute vraie souffrance doit sembler aux épaules trop lourdes, car c’est pour jouir, non pour souffrir que nous sommes créés. À un moment, toute croix semble passer les forces. Il arrive toujours une heure où sort ce mot, lourd d’angoisse et de lassitude : « Je n’en puis plus. »

Seigneur, par la vertu de Ta patience et de Ton amour, aide-moi en ces heures à ne pas me décourager. Tu sais combien lourdement une croix peut accabler : Tu ne nous blâmeras pas si nous plions, et nous aideras à nous redresser. Renouvelle-moi dans la patience, verse Ta force dans mon âme, qu’elle se relève, prenne son fardeau et aille de l’avant, toujours.


Station IV – Jésus rencontre sa mère

Syméon dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant sera un signe de contradiction
– et toi, ton âme sera traversée d’un glaive »
(cf. Lc 2, 34-35).

Elle attendait sans doute à un carrefour. Elle approche maintenant du cortège. Pas un mot. Rien entre la mère et son fils. Que pourraient-ils se dire ? Ils sont ensemble et seuls ; seuls au monde en dépit de la foule méchante qui les entoure, les yeux dans les yeux, cœur à cœur. Quel amour et quelles souffrances agitent leurs deux âmes ? Que se passe-t-il, de regard à regard ? Dieu seul le sait. Voulez-vous un instant considérer leur état d’âme ? C’est l’amour, fort, tendre et profond, tout pur. Et si mère pouvait jamais trouver remède aux souffrances du cœur dans la veulerie et la légèreté des hommes, elle ne l’a pas eu, ce remède, elle, l’Élue entre toutes, l’intime de Dieu. La souffrance l’a pénétrée jusqu’au plus profond de l’âme.

Ce fut à la fois un long et bref coup d’œil… Le regard du Seigneur de dire : « Mère, il le faut, le Père le veut. » « Oui, mon enfant, le Père le veut, et toi aussi : Fiat ! »

Ô Seigneur, Seigneur, c’est moi l’auteur de ce déchirement ! C’est pour moi que Tu as quitté Ta mère ! …

Seigneur, ce sacrifice ne doit pas être perdu pour moi. Fais-m’en souvenir quand Dieu me demandera un acte de générosité et que je sentirai mon cœur lié par les créateurs. Apprends-moi à surmonter le respect humain qui voudrait m’empêcher de Te confesser. Apprends-moi à être plus fort que l’amour des hommes, si fort et si pur soit-il, dès qu’il m’expose au danger de T’être infidèle.

Mais, Seigneur, apprends-moi tout cela comme Tu l’as fait : dans l’amour. Point de rudesse ni d’inconsidération : du ménagement, de la douceur. Et, j’en suis certain, si je le blesse à cause de Toi, mon amour se fortifiera en Toi ; ce qu’il perdra pour Toi, il le gagnera au centuple en Toi.


Station V – Simon de Cyrène est contraint d’aider Jésus

Ils réquisitionnent, pour porter sa croix, un passant, Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs (Mc 15, 21).

L’espace d’un court instant, la douceur natale a pressé Jésus, et l’amour de sa mère…

De nouveau, maintenant il faut s’y arracher. La rudesse ambiante lui semble doublement amère, et doublement lourd pèse la croix. Il est seul. Ceux qui l’aiment sont impuissants. Ceux qui pourraient l’aider ne veulent pas.

Comme les soldats de l’escorte voient les forces lui manquer, ils arrêtent un passant nommé Simon qui s’en revenait des champs. Il doit aider à porter la croix, mais il n’accepte pas, il est affamé, las ; il veut regagner son logis pour se reposer. Qu’a-t-il à se tourmenter pour un factieux ? Il se défend, ils doivent le forcer. Cette croix, de l’empoigner alors, rageur, révolté : quel secours est-ce donc là ?…

Tout seul est Jésus, tout seul dans cette effroyable détresse. Il n’y a que le Père auprès de lui.

Seigneur, Tu en as tant aidé, et maintenant tous T’abandonnent. Et Tu iras quand même jusqu’au bout, pour moi, afin d’être ma voie et ma force.

Je penserai à Simon de Cyrène s’il m’arrive un jour d’être seul à souffrir.

Que souvent le malheureux se voit délaissé : seul avec sa douleur, et personne pour l’aider ; seul avec ces tourments de l’âme que les autres ne comprennent pas. Et s’il s’en vient leur dire sa détresse, leur visage trahit combien on le trouve importun ; leur air et leurs paroles disent assez : « Que nous importe ? »

Seigneur, en ces instants, sois auprès de moi. Aide-moi à prendre mon parti de cette solitude, sans me décourager. Oui, je ne puis indifféremment recourir au prochain : il me faut apprendre à tenir bon, et volontiers, seul avec Toi seul. Et si je perçois clairement un jour qu’au fond chacun est seul avec sa propre souffrance, que chacun doit se débrouil­ler seul et que personne ne peut aider son semblable, oh ! que je Te sente alors près de moi ! Fais-moi comprendre que Tu es fidèle, que Tu ne m’abandonnes pas.


Station VI – Véronique donne un linge à Jésus pour essuyer ses sueurs

Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance,
il était pareil à celui devant qui on se voile la face (Is 53, 3).

Le Seigneur est tout à fait abandonné. Autour de lui, partout haine, grossièreté, apathie. Il est épuisé de soif et de douleur, las de corps et d’âme à s’écrouler. La croix pèse terriblement. Il se sent étouffer, et souvent tout tourne devant ses yeux.

Un autre désespérerait d’arriver au but et n’aurait plus le sentiment de rien. Véronique s’avançant qui lui tend un linge, il ne l’aurait pas vue et serait resté comme auparavant, prostré, aveuglé, hébété.

Mais de Jésus qui ahane sous le fardeau, l’âme reste si tendre et si éveillée qu’elle est capable de sentir l’humble office de cette femme, capable de l’apprécier et de l’en récompenser divinement. Il essuie son visage, et le linge qu’il lui rend porte ses traits sacrés.

Ô Seigneur, que Ton cœur est fort et tendre ! Âme royale de Jésus, Tu es noble au-dessus de toute noblesse, libre toujours ! Toi seul es libre parmi nous, esclaves de la vie et de la souffrance. Oh ! rends-moi libre aussi ! Si jamais je souffre et me sens tenté de faire l’aveugle ou l’indifférent pour les hommes qui m’entourent, garde-moi le regard clair et le cœur libre de cet égoïsme qui s’attache si facilement d’ordinaire à la douleur. Aide-moi à ne pas toujours penser à moi. Je ne dois pas devenir exigeant. Je ne dois pas tomber sur les autres ni empoisonner leur joie, sous prétexte que je suis dans une passe difficile.

Apprends-moi à voir les menues attentions de la charité. Apprends-moi à les apprécier, à remercier.

Oui, je dois apprendre à obliger les autres, car chacun en­dort plus facilement ses peines s’il s’oublie et rend service au prochain. Apprends-moi à penser aux autres, à les comprendre. Montre-moi la manière de gagner leur confiance, la façon de leur dire une bonne parole, de les consoler, de les réconforter, de les aider.


Station VII – Jésus tombe une deuxième fois sous la croix

Allant un peu plus loin, il tombait à terre et priait pour que, s’il était possible, cette heure s’éloigne de lui (Mc 14, 35).

Après l’avoir mal aidé, Simon de Cyrène s’est, à la fin, complètement libéré. De nouveau, voilà Jésus seul au milieu d’une foule sans pitié. De sa mère, il a dû se séparer ; ses disciples sont en fuite, et les rares fidèles, impuissants parmi cette multitude.

Personne à l’aider en sa détresse. La croix pèse si lourd ; mais plus lourdement presse sur son âme l’ingratitude ambiante. Avec l’amour le plus désintéressé, il a prêché à ces gens le royaume de Dieu. Peut-être y en a-t-il plusieurs parmi eux qu’il a guéris ou nourris au désert. Et, à cette heure, les voilà qui clament contre lui comme s’il était leur plus noir ennemi. Et c’est ce qui le plaque au sol une deuxième fois.

Mais une grande lumière brille en son âme : par les souffrances mêmes qu’ils lui imposent, Jésus veut les sauver. Et pour la deuxième fois, péniblement, il se relève et marche.

Seigneur, puissé-je comprendre la grandeur de souffrir pour les autres ! Ne puis-je, pour autrui, porter ce qui me pèse ? Et faire au Père des cieux, unie à Tes souffrances rédemptrices, l’offrande de mes soucis, de mes peines et de mes douleurs ? Pour tous ceux qui me sont chers : époux, épouse, enfants, parents, frères… Pour toutes les misères du monde entier… Pour tout ce qui est grand, pur, saint, et se trouve en danger… Pour la foule de ceux qui errent, qui vivent dans le péché ou se sont perdus…

Puissé-je bien saisir que ces souffrances se changent en bénédictions pour le prochain ! qu’elles participent à la vertu des souffrances du Sauveur !… La souffrance fait descendre la grâce divine sur le prochain et porte secours là où rien d’autre ne pourrait agir… Oui, ce serait vraiment dompter la souffrance ; ce serait la surmonter dans ses racines les plus profondes. Et, au lieu de m’irriter, j’aurais dans mes peines la joie de coopérer avec Dieu au grand œuvre de la charité et de la rédemption.

Seigneur, je T’en prie de tout cœur, apprends-moi à comprendre cela. Fais-moi une âme large et généreuse, capable de saisir l’inexprimable grandeur de cette vérité, et donne-lui l’amour de se mettre à l’œuvre.


Station VIII – Jésus parle aux femmes en larmes

Il se retourna et leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! » (Lc 23,28).

Encore une scène qui révèle la liberté du Cœur divin. Si je songe dans quel état il se trouve… la tête martyrisée d’épines, le corps déchiré de blessures profondes et torturé par la sueur brûlante… Comme il étouffe presque sous le fardeau… Autour de lui rien que haine et sarcasme ; devant lui l’épouvantable fin…

Vienne sur moi détresse pareille, et que des amis s’approchent alors pour se lamenter à haute voix et me plaindre avec force mots et larmes, une impatience furieuse ne me saisirait-elle pas ?

L’âme de Jésus, elle, reste libre et résignée. Même lorsqu’en lui tout tremble de douleur, Jésus parle aux femmes avec calme et continue son ministère : il redresse, il enseigne.

Pour tout homme vient une heure où la souffrance accable lourdement, où tout en lui se cabre sous sa violence. Les nerfs ne veulent plus obéir, et il peine à les maîtriser pour qu’ils ne se rompent pas. Et la peine se double si son entourage l’importune par son manque de tact et ses stupidités.

Si je me trouve jamais dans un tel état, aide-moi, Seigneur, à rester calme. Par la vertu de Ta patience, je rassemblerai mes forces et j’accueillerai les autres avec bonté, même les stupides, les lourdauds, les grossiers. Je continuerai à m’acquitter tranquillement de mon travail ; je continuerai à exercer mon métier, même si je me sens mal.


Station IX – Jésus tombe une troisième fois sous la croix

« Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur,
et vous trouverez le repos pour votre âme » (Mt 11, 29).

Peu après la deuxième chute, Jésus s’affaisse une troisième fois.

Que dire devant si douloureuse détresse ? Répéter des mots ? Mais ici les mots sont vides… Tâchez de sentir ce qu’il éprouve, comment il est las à mourir, et ce que représente une chute sous un tel fardeau, dans un tel milieu, pour la troisième fois ! …

Il est au bout de ses forces. Malgré tout, il se redresse encore une fois, il porte sa croix jusqu’au terme ; là-haut ne l’attend aucune rédemption, mais une mort affreuse.

Ô Jésus qui es si fort, Tu demeures en moi et moi en Toi. Je dois pouvoir avec Toi persévérer dans la souffrance, même si je pense que cela ne va plus. Je dois pouvoir avec Toi remplir mon devoir, même s’il devient par trop lourd.

Aide-moi : que dans l’affliction je ne me décourage pas, que je ne déserte pas mon devoir !

Et si je tombe, si mes forces diminuent, aide-moi à me relever.

Trois fois Tu T’es affaissé, et trois fois redressé. Fais-moi saisir, Seigneur, que Tu exiges, non pas que nous n’ayons aucune faiblesse, mais bien que nous nous relevions toujours.

Se relever sans fin avec des forces neuves, recommencer sans fin avec des énergies fraîches, c’est ici-bas toute notre vie : fais-le moi comprendre.


Station X – Jésus est dépouillé de ses vêtements

Ils se partagent ses vêtements, en tirant au sort pour savoir la part de chacun (Mc 15, 24).

Ils lui ont tout pris : sa liberté, ses amis, son activité. Maintenant, ils lui prennent encore l’honneur de sa chair. Dépouillé et nu, le voici livré à la honte. Tout impudent peut le considérer et le tourner en dérision. Tous ceux qui l’ont vénéré comme un grand prophète, ceux qui le proclamaient le Messie, les amis, les ennemis, le peuple entier le voit dans cet avilissement.

Forte est l’âme de Jésus ; noble et pure jusque dans son fond, sensible à l’honneur et combien délicate ! Aussi la honte au feu brûlant passe sur lui comme ces vagues qui roulent les unes sur les autres. Mais il adhère aux vouloirs divins jusqu’au bout.

Seigneur, rappelle-moi cette heure amère si quelque jour mon honneur est en jeu, si quelqu’un méconnaît mes intentions et me prête de faux motifs, si l’on me calomnie et joue avec ma réputation, même si ceux qui me méconnaissent me touchent de près et pourraient savoir ce que je pense.

Cette honte indicible, c’est pour moi que Tu l’as soufferte. Puisse Ton sacrifice me fortifier en des heures pareilles ! Dieu sait la vérité. Je dois m’en remettre à lui et me dire que mon honneur est à sa garde. Il saura bien me justifier en son temps.

Ne m’abandonne pas à l’impatience. Ne permets pas je rende du tac au tac, que j’injurie, que je critique et même que je rende suspect celui qui a porté atteinte à mon honneur.

Aide-moi à demeure juste et calme, à me confier à Toi.


Station XI – Jésus est cloué à la croix

C’était la troisième heure lorsqu’on le crucifia. L’inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots :
« Le roi des Juifs » (Mc 15, 25-26).

Ce qui se passe est si effroyable qu’on voudrait fuir pour ne pas voir…, ne pas voir comment ils le clouent et dressent la croix… Ô mon Maître et Sauveur ! Mais je n’ai pas le droit de m’en aller, je dois rester : c’est pour moi qu’il souffre.

Durant le trajet, Jésus, du moins, pouvait marcher, se mouvoir, faire des efforts. Maintenant, tout est fini. Maintenant, il ne peut plus rien, sinon demeurer suspendu et souffrir en silence. Dans ses membres troués, dans sa tête, dans la profondeur de ses plaies multiples, la douleur devient un feu toujours plus ardent ; et toujours plus atroce la soif, toujours plus dures la détresse et les angoisses de son cœur. Et il ne peut s’aider ni se mouvoir ; il ne peut rien, sinon souffrir et sentir la mort approcher.

Quant aux hommes qui l’entourent !… Quelle haine diabolique et quels sarcasmes chez ses ennemis ! Quelles grossièretés parmi la populace !

Seigneur, pardonne-moi, pécheur! Je suis coupable, oui, de toutes Tes détresses.

Que Tes souffrances ne soient pas perdues pour moi ! Que Ta force et Ta patience divines se transforment en vie chez moi !

Pour chacun, l’heure viendra où il ne pourra rien faire, ni assurer sa réputation, ni adoucir sa douleur, ni trouver is­sue à sa détresse. Ainsi, sans doute, en sera-t-il durant la dernière maladie, lorsque l’on comprendra que la fin approche, que le médecin ne peut plus rien. Là, chacun est cloué sans pouvoir s’aider. Une seule chose lui reste : rassembler son cœur et sa volonté en Dieu ; s’attacher ferme­ment, très fermement, à la volonté du Père et persévérer jusqu’au bout en silence. Et lui abandonner complètement le soin de savoir si la fin sera douce ou amère…

Seigneur, Tu seras près de moi, l’heure venue, je le sais. Et je participerai alors à la force de Ta croix qui me fortifiera…


Station XII Jésus meurt en croix

Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » (Mc 15, 39).

Trois heures durant pâtit Jésus.

Près de la croix se tiennent sa mère et son ami le plus cher : « Voici ton fils », lui dit-il. Et à Jean : « Voici ta mère. » Comme s’il se détachait de l’amour de ces deux êtres qui l’entourent…

Il veut être seul. Il a pris nos fautes : seul il veut traiter avec l’éternelle Justice. Personne ne doit l’assister. C’est absolument seul qu’il vide la redoutable affaire avec Dieu.

Que s’est-il passé dans l’âme de Jésus à ce moment ? Nul homme ne sait.

« Mon Dieu, mon Dieu, s’écrie-t-il alors, pourquoi m’avoir abandonné ? »

Personne n’éclaire le mystère de savoir comment le Fils de Dieu par Dieu peut être abandonné. Nous pouvons seulement dire que, jusqu’alors, il avait senti la présence divine, consolation et soutien pour son cœur. À présent, même Dieu l’abandonne…

Le voici nu et solitaire, lâché par tous… Il se tient seul avec nos fautes, face à la Justice divine.

Et personne ne réalisera jamais ce mystère.

Sa constante fidélité… à la mission du Père et son inconcevable amour pour nous, voilà tout ce qui le soutient.

Et il s’épuise dans cet amour jusqu’à ce que tout soit consommé. Consummatum est !

J’adore la Justice divine devant qui je me tiens comme un pauvre pécheur. Je T’adore aussi, mon Sauveur, qui as répondu pour moi.

Seigneur, je Te dois le salut : merci, oh ! du plus profond de mon cœur !

Et Tu m’as montré comment porter la souffrance et l’unique façon d’en venir à bout : par l’amour. Je puis la porter à la seule condition de l’accepter comme Toi de la main du Père, à la condition de m’abandonner et de m’accrocher à Lui. Alors, je serai fort, même si tout m’abandonne.

J’en viendrai à bout à la seule condition d’en faire comme Toi une bénédiction pour autrui, à la condition de la porter et de l’offrir au Père pour mes bien-aimés, pour tous ceux que je veux aider. Alors, ma souffrance participera à la toute-puissance de la Tienne ; elle appellera la grâce divine et portera secours là même où il n’y a plus rien à faire. Et quelle aide pour moi-même de savoir que ma souffrance n’est pas inutile, mais porte des bénédictions à autrui !

S’il m’arrive un jour de ne pouvoir plus agir et de me sentir inutile ici-bas, je pourrai encore, en toute vérité, cette chose sublime : avec Toi, me tenir en silence et offrir joyeusement, en holocauste pour les autres, mes souffrances, mon impuissance, et ma mort elle-même.

Seigneur, cela seul permet ce que nulle philosophie, nulle puissance, nul bien terrestre ne peuvent donner : c’est l’unique façon de vaincre la souffrance et la mort.


Station XIII Jésus est descendu de la croix

Alors, Jésus poussa un grand cri : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Et après avoir dit cela, il expira (Lc 23, 46).

Le Seigneur a cessé de souffrir : il est mort. L’œuvre admirable de Dieu, cette vie florissante dans le plein épanouissement de ses énergies et de ses talents, à la fois si forte et si tendre, est touchée à la racine.

Humainement parlant, il avait encore la vie devant lui. Que de créations, d’enseignements, d’œuvres, de charités il aurait pu faire ; quelle plénitude de vie Jésus aurait pu tirer de sa fécondité divine, s’il avait duré l’existence normale d’un homme !

Maintenant tout est écrasé. Mais c’est « la folie de la croix ». « Le grain de blé doit mourir » pour qu’une vie plus haute en sorte ; et ceux qui le foulèrent aux pieds furent, sans le savoir, les semeurs du salut.

Voilà donc, Seigneur, la réponse à l’amère question : Pourquoi souffrir ? Pourquoi pâtir, lorsque tout nous appelle au bonheur et à l’action ?… Pourquoi mourir ? Pourquoi partir, lorsqu’on n’a pas encore vécu sa vie ?… Pourquoi céder ce qui est si précieux ?

La sagesse humaine reste confondue. La croix seule apporte la réponse : « Le grain de blé reste stérile tant qu’il ne meurt pas en terre. » Nos souffrances, nos sacrifices, notre mort, tout est semence céleste. Si nous sommes un avec la volonté de Dieu, la vie en sortira pour nous et pour les autres.

Oui, je crois. J’ai confiance. Je veux m’attacher à Dieu, pour que ma vie, mes douleurs et ma mort portent des fruits éternels.


Station XIV – Jésus est mis au tombeau

Joseph d’Arimathie roula une pierre contre l’entrée du tombeau. Or, Marie Madeleine et Marie, mère de José, observaient l’endroit où on l’avait mis (cf. Mc 15, 43.46-47).

Ils enveloppent le corps du Sauveur dans un drap de toile et le déposent dans le tombeau de Joseph d’Arimathie. Puis, la lourde pierre roulée à l’entrée, ils s’en vont, tristes, chez eux.

Maintenant, tout est silence. Mais nous respirons alors que l’effroyable drame est passé. Une paix profonde couvre le sépulcre solitaire, la paix du consummatum est. Celui qui, là, sommeille, a terminé avec une fidélité divine toute l’œuvre que lui avait confiée le Père. À cette heure, il se repose de son labeur.

Pour nous, ce soin silencieux s’illumine déjà des splendeurs de Pâques toutes proches. Mais les disciples sentent bien autrement. Pour eux, ce tombeau renferme tous leurs espoirs. Pour eux, la Passion et la mort du Vendredi saint sont la fin de tout.

Mais, bientôt, le Christ leur apparaîtra rayonnant de force et de lumière. Et ils comprendront « comment le Messie devait souffrir ainsi pour entrer dans sa gloire », comment sa mort fut la rançon de notre vie.

Seigneur, quel joyeux message Tu apportes à chacun : tout Vendredi saint est suivi de Pâques ; toute souffrance est une source de bénédiction, et la mort même, la semence d’une vie nouvelle pour ceux qui s’attachent à Toi.

Fais-moi comprendre ces vérités. Qu’elles deviennent chez moi une conviction profonde pour les heures sombres. Et j’expérimenterai alors que je puis non seulement suppor­ter, mais vaincre la souffrance.

En Toi je serai de force à me mesurer avec elle ; et je m’apercevrai que de ces heures douloureuses où l’on se bat avec vigueur sans faiblir, l’âme sort toujours plus forte, et que de ces ténèbres où l’on marche, toujours partent des éclairs annonçant la lumière de Pâques. Je m’apercevrai aussi qu’à vivre et souffrir avec Toi on a part, même dans l’amertume, à Ta paix.


Romano Guardini

Lorsque paraît en 1939 la première édition française du Chemin de croix du Seigneur notre Sauveur, dans la traduction d’Antoine Giraudet, s.j., Romano Guardini (1885-1968) achève son ministère de directeur spirituel du Château Rothenfels, haut lieu des mouvements de la jeunesse catholique. Il est déjà à cette date, un théologien largement reconnu, ex-titulaire à Berlin d’une chaire d’enseignement qui vient d’être supprimée par les nazis. Après la guerre, il reprendra son enseignement à Tübingen, puis à Munich jusqu’à la fin de sa carrière en 1962. Son procès en béatification a été ouvert en 2017. Animé par un souci pastoral de pédagogie, son travail d’enseignement et d’écriture a eu une portée considérable, notamment en liturgie. Figure majeure du Mouvement liturgique, son empreinte sur la réforme conciliaire a été très marquante.

L’esprit de la liturgie

Paru en 1918, Vom Geist der Liturgie est un premier essai qui va connaître un énorme succès et exercera une grande influence dans l’Église catholique jusqu’au concile Vatican II.
Cet ouvrage pose les bases d’une réflexion sur une vie liturgique qui, assumant et honorant, toutes les dimensions de l’existence est à recevoir comme source de toute notre vie. En tant qu’elle est une action collective de l’Église, « la liturgie ne dit pas je mais nous ». Elle le “style” de la vie chrétienne en manifestant que cette vie trouve en elle « son expression adéquate et parfaite » et transforme peu à peu l’existence du baptisé en une liturgie.
L’Esprit de la liturgie exerce toujours une influence notable, notamment sur la lettre apostolique du pape François Desiderio desideravi qui aborde le sujet de la formation liturgique, thème cher à Guardini, et objet d’un chapitre de la constitution conciliaire sur la liturgie.

La formation liturgique

La dernière publication de Romano Guardini en 1966 revient sur cette question. Il s’agit d’un nouveau livre rassemblant quatre éléments : une lettre adressée en 1964 à un congrès de liturgie à Mayence, une reprise de son court livre sur la formation liturgique publié initialement en 1923, la réédition de son Du mystère liturgique de 1925, et enfin une allocution télévisée donnée en 1960 en préparation du Congrès eucharistique de Munich.
Il y rappelle que le Mouvement liturgique veut « initier les fidèles à la vie liturgique de l’Église, les y faire entrer ». Pour ce faire, il est indispensable de réactiver la compréhension de l’univers symbolique de l’acte liturgique afin de permettre à ceux qui y participent d’entrer dans la réalité du salut manifestée dans la liturgie. Aussi une véritable formation liturgique ne saurait s’en tenir à un simple registre de connaissances historiques ou de rubriques. Elle ne se confond pas non plus avec la science liturgique et se tient aussi à distance d’une projection subjective : « il s’agit très clairement de mettre toujours plus en évidence le contenu essentiel et authentique d’une action sacrée » qui déborde les seuls mots et gestes du rite pour s’ouvrir à la vie.

D.G.


Crédits

Les stations représentées sont de la main du peintre Martin Feuerstein (1856-1931), à l’exception de la 6e station très étroitement inspirée d’un original issu de la même série.
Crédit iconographique : Chemin de croix (1898), Martin Feuerstein (1856-1931), Munich, Allemagne, église Sainte-Anne. © Bridgeman Images.

Martin Feuerstein
Ce contemporain de Romano Guardini, natif de Barr, en Alsace, et familier lui aussi de l’aire germanique, exercera son art entre la France et l’Allemagne. C’est tout d’abord auprès de son père, Jean-Martin Feuerstein, sculpteur, qu’il développe une passion pour le dessin. En 1874, il s’inscrit à l’académie des Beaux-Arts de Munich où il sera sensible au courant des Nazaréens, mouvement artistique d’origine germanique soucieux de revitaliser l’art par la religion chrétienne. De 1878 à 1881, de retour en France, il est l’élève de Luc Olivier Merson à Paris. Après un voyage d’études en Italie (1881-1883), il se fixe à Munich et se consacre à la peinture religieuse. Animé par une foi catholique profonde, il y enseigne à partir de 1898 à l’Académie des Beaux-Arts : comme titulaire de la chaire de peinture religieuse. Il laisse de nombreuses œuvres en Allemagne et en France, mais aussi en Suisse, en Espagne ou encore en Italie.

Remerciements
Nous remercions les éditions Salvator pour leur aimable autorisation de reproduction du texte des stations. L’intégralité du chemin de croix de Romano Guardini est à découvrir dans l’ouvrage Le Chemin de croix du Seigneur notre Sauveur, éditions Salvator, 1939, réédité en 2013.

Pour le texte des stations : © Matthias Grünewald Verlag ; © Éditions Salvator, pour la traduction française.

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Romano Guardini - Martin Feuerstein

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Monseigneur Timothy Verdon est l’un des historiens de l’art chrétien les plus respectés. Diplômé de l’Université de Yale, il vit en Italie depuis plus de 50 ans. Chanoine de la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence, il y dirige le service diocésain d’art sacré ainsi que le musée de la Cathédrale (Museo dell’Opera del Duomo).

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