Les trésors de la rédaction

Heureux temps des semailles

Par Yvon Aybram

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De la parabole du semeur à celle du bon grain et de l’ivraie, la métaphore de la semaille et de la récolte est au cœur de l’Évangile. Elle trace un chemin d’espérance.

Il ne viendrait à l’idée d’aucun agriculteur de semer au mois de juillet… Pourtant, la liturgie des trois derniers dimanches de ce mois (15e, 16e et 17e) semble venir à contretemps nous parler de semailles : ainsi, Dieu sème l’été. Pour lui, c’est toujours le temps de l’espérance, et l’Apôtre nous en prévient : Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut sauver vos âmes (Jc 1, 21).

Accueillir avec joie le bon grain

Cette révélation nous comble et nous n’en comprenons que mieux l’exultation de Jésus : Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits (Mt 11, 25, 14e dimanche). Cette attitude devrait nous animer chaque fois que l’Église ouvre pour nous le livre des Écritures. La liturgie nous y invite explicitement puisque chaque lecture, conclue par l’invocation : « Parole du Seigneur », suscite chez les auditeurs la réponse : « Nous rendons grâce à Dieu », avant même d’avoir pris le temps de la méditer. C’est une profession de foi, reconnaissante de la capacité de germination et de fructification de la semence divine en tout temps, y compris « ordinaire ».

Si l’on ose l’affirmer avec une telle certitude, c’est à cause de la prophétie d’Isaïe : Ainsi parle le Seigneur : […] ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission (Is 55, 10-11, 15e dimanche). Dieu ne débite pas des paroles vaines, inconsistantes ou trompeuses ; sa parole est agissante, elle réalise parfaitement ce qu’elle annonce. Telle est bien la signification du refrain qui scande le premier récit de la Création : Dieu dit : […] Et ce fut ainsi (Gn 1, 3.30).

Ce que réalise la liturgie de la Parole, magnifiquement restaurée selon la demande du dernier concile[1], une des prières qui jalonnent la longue série des lectures de la Vigile pascale l’exprime fort bien : « Seigneur notre Dieu, tu veux nous former à célébrer le mystère pascal en nous faisant écouter l’Ancien et le Nouveau Testament ; ouvre nos cœurs à l’intelligence de ta miséricorde, ainsi la conscience des grâces déjà reçues affermira en nous l’espérance des biens à venir[2]. » Le Seigneur continue de semer en nous ce qu’il a commencé de semer au jour de notre baptême. La germination est en route et la véritable récolte se fera dans le Royaume que nous célébrons en chaque eucharistie : « Heureux les invités au repas du Seigneur. »

Accepter de semer largement

Jésus a choisi d’utiliser le procédé pédagogique des paraboles pour présenter les réalités les plus hautes de la foi. Il en est ainsi dans le chapitre 13 de l’Évangile selon saint Matthieu que nous lisons durant ces trois dimanches. Cela nous donne le temps nécessaire pour saisir ce que veut dire le Christ lorsqu’il nous invite à connaître les mystères du royaume des Cieux pour que se réalise la béatitude : Heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent ! (Mt 13, 16, 15e dimanche).

L’évangéliste précise que ces paraboles sont adressées à toute la foule qui se tenait sur le rivage (Mt 13, 2, 15e dimanche). À la manière du semeur, Jésus jette la semence largement, sans se préoccuper de la qualité du sol qui va la recevoir et sans doute que, parmi les auditeurs qui se pressent, il y a des bords de chemin, des pierres, des épines qui ne laisseront guère la possibilité de fructifier. Mais il y a également sur le bord du lac de la bonne terre qui accueillera la prodigieuse fécondité des semailles.

Il en va sans doute de même de nos assemblées dominicales : les uns laissent traîner une oreille distraite, d’autres pensent à autre chose, d’autres encore arrivent largement en retard… et pourtant la Parole continue d’être proclamée à l’intention de tous. Peut-être seulement une phrase ou un seul mot produira un effet inattendu chez l’auditeur qui s’étonnera de son fruit : cent, ou soixante, ou trente pour un (v. 23). Le désir de l’Église rejoint celui de son Maître : Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! (Mt 13, 9).

Agir comme le Christ

La pratique de Jésus doit inspirer celle de ses disciples et c’est pourquoi il prend soin d’expliquer les paraboles à ceux qui auront la mission de semer à sa suite, sans se laisser décourager par les insuccès qu’ils ne manqueront pas de rencontrer lorsqu’ils seront envoyés faire des disciples de toutes les nations, lorsqu’ils sèmeront à leur tour (cf. Mt 28, 19). Il y aura ceux qui entendront sans comprendre, ceux qui seront les hommes d’un moment, ceux qui préféreront se laisser séduire par le Mauvais ou les richesses du monde… Mais, sans doute possible, il y aura également ceux qui, entendant, comprendront et porteront du fruit en abondance.

Devenir semeurs d’espérance

La dernière parabole du chapitre reprend cet enseignement : Le royaume des Cieux est encore comparable à un filet que l’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons (Mt 13, 47, 17e dimanche). Plus tard, le tri se fera et ce n’est pas notre affaire, comme on le voit encore avec le bon grain et l’ivraie (16e dimanche).

Que les chrétiens n’hésitent donc pas à témoigner, à semer largement la Bonne Nouvelle qui les fait vivre et aimer. Bien qu’il y ait encore en eux des duretés, des zones empierrées, des résistances, des touffes d’épines, bien qu’ils se laissent parfois détourner par le Tentateur, le Seigneur, dans sa miséricorde, leur fait confiance et les choisit pour que le temps des semailles continue : « Allez annoncer l’Évangile du Seigneur ! »

Certes, dans le champ du monde pousse de l’ivraie. Cette plante qui a tendance à tout envahir (et que l’on nomme aussi « zizanie » !) avait la réputation d’enivrer… L’Évangile dit clairement son origine : C’est un ennemi qui a fait cela (Mt 13, 28, 16e dimanche). Mais le semeur est sûr de la qualité et de la puissance de la graine qu’il utilise, et tandis que les serviteurs ont peur et veulent arracher le parasite, il les prévient que bon grain et ivraie cohabiteront jusqu’au jour de la moisson, c’est-à-dire jusqu’au jour du retour du Seigneur dans la gloire où « il viendra juger les vivants et les morts », dit le symbole des Apôtres.

Il ne faut pas se fier aux apparences, ce n’est pas parce que la graine de moutarde est la plus petite de toutes les semences qu’elle ne devient pas un grand arbre ; ce n’est pas parce que le levain est enfoui dans la farine qu’il ne fait pas lever toute la pâte (cf. Mt 13, 31-33, 16e dimanche). Ainsi en est-il de la puissance du royaume de Dieu : Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? (Is 43, 19). L’amour prend patience, affirme saint Paul (1 Co 13, 4) ; loin d’être une expression de faiblesse, cette patience est provoquée par la certitude que donne le Christ : Courage ! Moi, je suis vainqueur du monde (Jn 16, 33). L’espérance soutient la charité de ses disciples.

Accueillir pour mieux donner

Vous êtes un champ que Dieu cultive (1 Co 3, 9). Quelle belle manière de présenter l’homme dans son rapport avec son Créateur ! On n’en goûte que mieux une autre des paraboles de notre chapitre : Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ (Mt 13, 44, 17e dimanche). Plus loin, il sera question d’une perle de grande valeur : Mon bonheur, c’est la loi de ta bouche, plus qu’un monceau d’or ou d’argent (Ps 118, 72, 17e dimanche). Autrement dit, le Royaume est à chercher au-dedans de nous-mêmes, là où le Seigneur veut enraciner profondément la semence capable de porter beaucoup de fruits, la semence capable de produire un arbre apte à recevoir tous les oiseaux du ciel. Ce trésor, qui n’a pas de prix, le croyant laisse tout ce qu’il possède pour l’obtenir, comme Jésus le propose au jeune homme riche : Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux (Mt 19, 21).

Avez-vous compris tout cela ? (Mt 13, 51, 17e dimanche). La question finale de Jésus s’adresse à chaque auditeur de l’Évangile. Ce n’est pas simplement une question de compréhension intellectuelle d’un « texte », mais de l’intelligence spirituelle de la parole de vie ; elle s’obtient à la lumière de l’Esprit, dans la prière et la méditation. Elle conduit l’auditeur à devenir acteur de la divine miséricorde, ainsi la Parole fait-elle ce qu’elle dit.


[1]. Cf. Constitution sur la sainte liturgie, n° 51.
[2]. Prière après la 7e lecture.

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Yvon Aybram

Mgr Yvon Aybram, prêtre du diocèse de Nanterre, vicaire épiscopal, curé de paroisse et prélat d’honneur, collabore à Magnificat depuis sa création. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages d’éducation et de catéchèse pour la jeunesse. MGF no 296, juillet 2017

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