À l’origine de cette fête, se trouve vraisemblablement la dédicace des églises du Mont-Thabor, qui fut ensuite commémorée chaque année. Elle apparaît en occident au milieu du IXe siècle aussi bien à Naples que dans les pays germaniques. Au XIe et XIIe les moines de Cluny aidèrent à sa diffusion générale, avant même que le Pape Calliste III l’inscrive au Calendrier romain en 1457.
La date de la fête de la Transfiguration est dépendante de la fête de la Croix glorieuse. En effet, La tradition de l’Église veut que la transfiguration du Seigneur ait eu lieu quarante jours avant sa mort sur la croix. C’est donc quarante jours avant la fête de la Croix glorieuse, le 14 septembre, que l’Église a placé la Transfiguration, le 6 août. La fête de l’exaltation de la Croix nous vient de Jérusalem et était connue en occident dès le IVe siècle par le récit qu’en avait fait la pèlerine Ethérie.
Le temps qui sépare les deux fêtes forme une quarantaine, ce temps symbolique qui relie mort et résurrection, Passion et glorification. Cela est particulièrement marqué dans la préface du jour : « Il a montré sa gloire aux témoins qu’il avait choisis, le jour où son corps semblable au nôtre fut revêtu d’une grande lumière ; il préparait ainsi le cœur de ses disciples à surmonter le scandale de la croix ». À quelques jours de l’Assomption, la suite de la préface : « il laissait transparaître en sa chair la clarté dont resplendira le corps de son Église », indique des liens étroits entre ces fêtes. Marie, bénéficiant dans la totalité de sa personne de la résurrection de son Fils, est la personnification de l’Église, l’icône, le modèle de l’Église entrée dans la gloire. Elle nous montre le terme vers lequel nous marchons. (1)
Le signe de notre guérison
Après le moment intense de la Transfiguration, les trois évangélistes, Matthieu, Marc et Luc, relatent la guérison d’un enfant épileptique, événement qui précède la deuxième annonce de la Passion. Luc note : Jésus menaça l’esprit impur, guérit l’enfant et le rendit à son père (9, 42). Transfiguré sur la montagne, Jésus manifeste la raison de sa venue parmi les hommes : rendre aux enfants déshumanisés que nous sommes, la dignité de Fils de Dieu, pour finalement nous re-donner au Père. Nous en avons un écho dans la prière d’ouverture de la fête : « Seigneur dans la transfiguration de ton Christ, […] et tu as annoncé notre merveilleuse adoption ».
Et aussitôt après cette guérison, pour la deuxième fois, Jésus annonce sa Passion. Ainsi, entre la Transfiguration, qui préfigure la gloire de la résurrection, et la Passion, qui la fait advenir, le signe de la guérison est-il donné par Jésus dans un criant appel à la foi. Lui qui, bientôt, prendra la place de tout enfant défiguré par le péché, révèle ce qu’il va réaliser dans l’acte de la Croix. Transfiguration, guérison, Passion, forment un triptyque qui éclaire par avance le sens du mystère pascal.
Le Fils de l’homme
Puisque cette année la Transfiguration tombe en semaine, la première lecture est au choix : soit le livre de Daniel, soit la deuxième lettre de saint Pierre où l’Apôtre fait référence à la transfiguration : Nous l’avons contemplé lui-même dans sa grandeur (1 P 1, 16). Or, nous lisons l’Évangile de Matthieu, aussi le texte de Daniel est-il particulièrement bienvenu. En effet, Matthieu fait souvent référence à ce personnage mystérieux qu’est le Fils de l’homme dont parle Daniel dans une vision : Il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et toutes les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas (Dn 7, 14).
Avant de recevoir la couronne de gloire prophétisée par Daniel, Jésus mène à bien sa mission. Après l’enthousiasme du Discours sur la montagne, sa prédication du Royaume soulève des oppositions de plus en plus décidées. Il sait qu’il sera mis à mort. Ce discernement est le fruit de son attention au réel, d’une part il est étonnamment présent à chaque instant, d’autre part il est guidé par sa relation au Père dans la prière. Ce faisant, il accomplit l’Ecriture et s’identifie au serviteur souffrant d’Isaïe autant qu’au Fils de l’homme de Daniel. La force des annonces de la Passion se trouve justement dans cette référence au Fils de l’homme. Lorsque Jésus dit : Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes (Lc 9, 44) juste après sa transfiguration, il éveille l’attention de ses disciples qui connaissent le livre de Daniel. Ce faisant, il interpelle leur foi en ces annonces de victoire dont il signale que la réalisation passe par un moyen qu’ils sont incapables d’envisager : ces paroles restaient voilées pour eux (Lc 9, 45).
Incursion du Carême en été
Souvenons-nous que dans la liturgie du Carême nous entendons toujours, le premier dimanche le récit des tentations de Jésus au désert après son baptême par Jean, et le deuxième dimanche, la lecture de la Transfiguration selon les Évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc). Ces deux dimanches nous mettent en marche vers la célébration du Triduum pascal, mais surtout, ils nous découvrent le mystère du Christ : il est vraiment l’un de nous, pleinement homme, tenté comme nous le sommes, et en même temps il est pleinement le Fils bien-aimé du Père dont la gloire rayonnante est voilée à nos yeux de chair. Au milieu de l’été, la fête de la Transfiguration, qui tourne nos regards vers la Croix glorieuse, nous rappelle ce que nous devons toujours tenir ensemble : Jésus est vraiment l’un de nous et vraiment Fils de Dieu ; sa Passion est inséparable de sa résurrection dont elle est le motif ultime. Ainsi l’a toujours fait la foi chrétienne.
Une fête qui rassemble
La Transfiguration est aussi l’occasion pour l’Église, selon l’expression de Jean-Paul II, de respirer « à deux poumons ». En effet pour lui, l’Orient et l’Occident sont comme les deux poumons dont l’Église a besoin pour vivre. Or cette fête, particulièrement importante en Orient, insiste sur la divinisation de l’homme qui est le but de la vie chrétienne. Anastase le Sinaïte place ces paroles dans la bouche de Jésus transfiguré : « C’est ainsi que resplendiront les justes lors de la résurrection, c’est ainsi qu’ils seront glorifiés, c’est en ma condition qu’ils seront transfigurés, en cette gloire qu’ils seront transformés, à cette forme, à cette image, qu’ils seront configurés, et ils siégeront avec moi, le Fils de Dieu. »
À la suite du XXe siècle qui a connu tant d’actes barbares, pensons seulement à Hiroshima perpétré un 6 août, la Transfiguration nourrit notre espérance en la re-création de la personne humaine par et dans le Christ. « Transforme-nous Seigneur, par cette nourriture venue de toi : qu’elle nous fasse ressembler davantage à celui dont tu as révélé la splendeur dans le mystère de la transfiguration » (prière après la communion).
Regard sur la liturgie, MGF no 261, août 2014
(1). On pourrait relire à ce sujet le chapitre VIII de la constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium qui est tout entier consacré à la bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu, dans le mystère du Christ et de l’Église.