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Les trésors de la rédaction

L’Avent : temps des commencements

Par Père François-Xavier Ledoux

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Le temps de l’Avent, attente de l’avènement du Sauveur, est un chemin de conversion. Un temps de l’espérance du Royaume.

Qu’attends-nous vraiment ? Noël et l’enfant dans la crèche ? Certes, mais face aux difficultés quotidiennes de la vie, cela peut paraître parfois dérisoire ou nostalgique. Devons-nous plutôt attendre la venue du Christ en gloire ? Il faut bien le reconnaître, celle-ci ne nous parle plus guère, elle semble appartenir à un avenir trop lointain : nous serions alors comme les deux clochards de la pièce de Samuel Beckett (1) qui attendent leur ami Godot – lequel ne viendra finalement jamais –, ne sachant pas pourquoi ils l’attendent, et ne voyant pas non plus de raison valable de partir.
Tel n’est cependant pas notre cas. Nous savons, nous, qui nous attendons, et ce que nous espérons « en cette vie » : « le bonheur que [Dieu] promet et l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur », comme il est dit à chaque messe.
Or, en ce temps de l’Avent, c’est justement de cet « avènement du Fils de l’homme » qu’il est question. Nous nous préparons à célébrer, à l’avance et dans l’espérance, la venue prochaine du Christ glorieux, par qui « seront jugés les vivants et les morts ». Mais, en attendant ?…

Un temps de conversion

En attendant, nous sommes invités à la conversion : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route (Mc 1, 3). Faut-il faire table rase du passé pour commencer à se convertir ? Certainement pas. La liturgie de cet Avent ne donne à entendre le début de l’Évangile de Marc qu’au deuxième dimanche, comme pour mieux nous rappeler qu’il n’y a pas de commencement absolu, que, toujours, quelque chose nous précède auquel nous sommes reliés ; et l’Évangile lui-même commence par indiquer ce lien : Il est écrit dans Isaïe, le prophète (Mc 1, 2).

Il en va de même dans chacune de nos vies. Il y a ce qui est déjà écrit : nos histoires de famille, notre généalogie, nos amours, nos engagements ; ce qui a réussi et ce qui a échoué ; les déterminismes et les maudits scenarii qui se répètent ; les joies et les peines des jours passés, bref, tout ce qui a déjà été accompli.

Mais, avec l’Avent, la liturgie chante : « Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né ». C’est ce que signifie le commencement d’un nouvel Évangile : nouvelle page, nouvel écrivain dont l’Esprit guide la plume. Le laisser convertir notre cœur, c’est, comme à Emmaüs, écouter quelqu’un, reprenant les faits passés, nous expliquer le chemin parcouru avec lui, alors que nous nous croyions seuls et abandonnés, nous expliquer les passions dont nous avons souffert et lever le voile sur l’Évangile de chacune de nos vies. C’est cela la conversion de l’Avent : ce retournement de la flèche du temps qui n’est plus un destin à subir – lamentablement emportés que nous serions dans le tourbillon de l’histoire – mais une destinée qui se décline en mystères de joie, de douleur, de gloire et même de lumière, en compagnie du Bien-aimé que notre âme cherche : « Ad te levavi animam meam… » (« Vers toi, j’élève mon âme… »), chante l’introït du premier dimanche de l’Avent. C’est lui que nous attendons, lui dont la lumière va se lever comme l’astre du matin, lui notre vrai visage, notre seul rivage au-delà du chaos et des fureurs de cette vie pèlerine.

C’est aussi lui que nombre de nos contemporains cherchent « comme à tâtons », dans des vies parfois malmenées, parce qu’ils sont, par exemple, en pleine dépression, et qu’ils attendent sans attendre que quelque chose de neuf surgisse pour leur rendre goût à la vie ; ou bien quand tout s’effondre, parce qu’ils viennent de perdre un être cher, etc. Se convertir, c’est alors les aider à déblayer, à mains nues, les décombres de leur vie pour qu’elle renaisse en eux et autour d’eux. Autrement dit, si nous ne savons pas quand vient le maître de la maison (Mc 13, 35), ce n’est pas pour nous tenir dans la peur et attendre passivement que le Fils de l’homme apparaisse dans le ciel et vienne juger les vivants et les morts, mais c’est pour veiller, prêts à incarner ce mouvement infiniment évangélique et salutaire de la main qui se glisse sous la tête de mon frère qui tombe, afin qu’il soit relevé de son malheur. À l’inverse, si c’est moi qui suis dans la détresse, je ne peux attendre le Jour du Dies iræ pour voir mon Sauveur s’approcher de moi. J’attends de mes frères et sœurs en humanité qu’ils incarnent déjà sa venue, dans la rencontre et l’échange de deux vulnérabilités, qui se soutiendront l’une l’autre pour la vie meilleure, la vie nouvelle déjà commencée.

Un temps d’espérance

De commencement en commencement, de conversion en conversion, Dieu, avec nous et pour nous, bénit toutes les pousses, les plus jeunes, les plus fragiles, inscrivant la nouveauté de l’Évangile en tout coin et recoin de nos existences.

Mais ce qui est nouveau est souvent menacé, comme la Sainte Famille le fut par Hérode. Aussi, protéger et promouvoir l’espérance, cette « toute petite fille de rien du tout, qui traversa les mondes révolus (2) », est la sainte tâche des chrétiens. L’espérance qui surgit au profond de la Sainte Nuit, est celle qui se lève dans la nuit du cœur de l’homme enténébré par le mal et le malheur, et qui, encore aujourd’hui, se lève sur les terres noircies par la cendre des combats, cette terre même où, jadis, naquit à Bethléem, le Prince de la Paix, l’Espérance des hommes.

Commencement, là où tout semble prendre fin, des tentatives de paix, là où le péché abonde mais où la grâce surabonde, car rien n’est jamais perdu pour Dieu : « Le marteau de la salle des ventes du Royaume ne tombera pas avant que je ne rachète tout, dit Dieu : votre passé, vos amours, là où vous avez vécu malheureux, ce que vous avez reçu de plus cher par ceux qui se seront faits votre prochain, je prends tout et je restaure tout plus beau qu’en l’état du premier jour ! » L’Avent est donc bien ce temps de l’espérance du Royaume, qui est davantage « rendu par le don du Christ que perdu par le péché d’Adam » (Thomas d’Aquin). 

Le temps des prémices du salut

Nous avons ainsi bien raison d’attendre l’avènement du Fils de l’homme. Car nous comprenons que c’est maintenant l’heure de sortir de [notre] sommeil (Rm 13, 11), que c’est maintenant le moment favorable du salut, chaque fois que les mains de mon prochain deviennent celles du Messie de Dieu, caressant le front éprouvé de l’homme qui doute et qui peine, comme Zachée attendait quelqu’un qui accepterait de prendre son repas avec lui, comme le bon larron attendait quelqu’un qui, à la dernière minute d’une vie ratée, allait lui annoncer que la vie s’ouvrait sur l’éternité, comme Syméon attendait un Sauveur qui serait le Consolateur d’Israël.

L’Avent chrétien, où se mêlent attente, conversion et espérance, est finalement le commencement de l’incarnation déjà à l’œuvre, les prémices de cette divine agapè – divine charité –  présente dans ce mouvement d’amour entre deux êtres qui s’approchent l’un de l’autre : l’Avent, c’est alors ce temps et cet espace d’attente qui advient entre eux et qui fait espérer les plus beaux fruits de vie éternelle pour chacun : Jésus en nous, Dieu-avec-nous.


1. En attendant Godot.
2. Charles Péguy, extrait du Porche de la deuxième vertu.


« Regard sur la liturgie », MGF 265, décembre 2014

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Père François-Xavier Ledoux

Musicien et chanteur, titulaire d’un master en théologie sacramentelle et liturgique, le père François-Xavier Ledoux, dominicain, a contribué à la réflexion sur la musique et le chant dans la liturgie. Agrégé de lettres classiques, il se consacre actuellement à l’enseignement des langues anciennes.

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