Magnificat

Les trésors de la rédaction

Louer, bénir, prêcher

Par Père François-Xavier Ledoux, o.p.

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Dans une société toujours plus désorientée et mercantile, la louange nous réapprend la gratuité et le sens profond de notre existence

Telles pourraient être les trois actions « missionnaires » de la liturgie, d’autant plus qu’elles ne lui sont pas extérieures, mais bien intérieures, comme pour mieux « saisir et renouveler du dedans tout ce qui constitue notre vie : la parole, le corps, la présence au monde[1] ».

Car c’est en rejoignant le cœur de nos existences et de celles de nos contemporains que la liturgie, par elle-même et en elle-même, accomplit la mission de l’Église : « Faire en sorte que la révélation de Dieu en Jésus Christ vienne atteindre, travailler, façonner tout être humain en attente de vérité et d’amour [dans] la liberté des personnes en venant renouveler de l’intérieur leur dignité[2]. »

Aussi, en raison de la loi de l’incarnation, cette « activité missionnaire » de la liturgie ne peut qu’emprunter les voies les plus charnelles qui permettent « à l’unique et triple source divine (la parole créatrice du Père, le corps du Fils et l’action de l’Esprit) de s’inscrire à l’intérieur de notre existence humaine[3] », sous la triple forme liturgique de la louange, de la bénédiction et de la prédication.

Louer

On sait combien le chant, la musique et tous les autres arts sont une voie privilégiée d’accès à la beauté, voire à Dieu ; de saint Augustin à Claudel, des formes esthétiques variées ont pu susciter bien des conversions en touchant la chair de celles et ceux qui se sont laissés prendre à ces « guets-apens de la grâce[4] ». « Épiphanisant » le mystère de la liturgie, la louange, sous toutes ses formes expressives, est ainsi la trace vive de la mission divine de l’Esprit, de « [son] habitation et [son] action illuminatrice et transformante dans nos sens, nos cœurs et nos corps[5] ».

Mais louer, ce n’est pas seulement célébrer de diverses manières artistiques les louanges de Dieu et de sa création. Chaque fois qu’intervient la louange dans les Évangiles, il n’y est pas question d’art directement, mais de manifestation du salut en acte ; et, comme les psaumes nous le rappellent au cours de chaque liturgie, louer, c’est aussi et surtout relever la mission de prendre à bras-le-corps les supplications de celles et ceux qui souffrent, qui sont traversés par la solitude, l’abandon, la maladie, le deuil, etc., et dont les interrogations, les demandes et les plaintes sont à l’intérieur de la louange.

Enfin, dans une société toujours plus désorientée et mercantile, la louange nous réapprend la gratuité et le sens profond de notre existence ; bien plus, comme le rappelle si bien le philosophe Michel Serres, la louange apporte une respiration calme et large au corps et à l’esprit : « La louange dilate comme la joie. Louer m’élargit, magnifier me magnifie[6]. » Quelle plus belle mission pourrait se donner la liturgie que d’élargir et de magnifier ainsi notre présence au monde ?

Bénir

Là encore, dans un monde souvent livré au soupçon, à la critique, à la dénonciation, au blâme, à la censure, à la médisance, à la calomnie, au rire sarcastique, à la dépréciation, à l’abaissement, à la discrimination, la liturgie a pour mission de nous ramener inlassablement sur le chemin de la bénédiction. Bénir Dieu et bénir tous les fruits du travail des hommes ; bénir le feu et l’eau qui nous purifient ; bénir l’huile qui nous imprègne de la force et de la joie de l’Esprit ; bénir le pain et le vin sanctifiés qui nous donnent la vie ; bénir la création et tous les êtres vivants, les femmes et les hommes de bonne volonté.

Mais la mission de bénir, c’est aussi, d’une autre manière, souhaiter la présence du Seigneur et de son Esprit en chacun de nous, quelles que soient nos vies, quelle que soit notre foi, comme cela se fait dans chaque célébration, pour « que le Seigneur nous bénisse et nous garde » ; c’est aussi nous rendre meilleurs à travers la miséricorde et le pardon qui se donne, pour « que le Seigneur fasse briller sur nous son visage et nous prenne en grâce » ; c’est encore échanger la paix du Christ et partager entre nous son corps et son sang, pour « que le Seigneur tourne vers nous son visage et nous apporte la paix » (cf. Nb 6, 24-26).

Car c’est en accomplissant et en laissant simplement parler ces signes, avec les gestes et les paroles qui les accompagnent, qu’opère humblement la liturgie dans sa mission transformante « de ce qu’il y a d’essentiellement humain dans notre existence : les réalités de vie et de mort, des attentes de vérité et de délivrance, de confiance et de reconnaissance[7] ». Nous manifestons ainsi, dans l’Église Corps du Christ ressuscité, que « le mystère pascal n’est pas un événement extérieur à notre humanité[8] », mais bien incarné dans la chair des événements joyeux, douloureux, glorieux et lumineux de nos vies ; qu’il fait de nous des envoyés authentiques de notre Dieu fait homme, profondément « unis à la divinité de Celui qui a pris notre humanité », et bénissant en paroles et en actes celles et ceux que le Christ nous envoie.

Prêcher

Car le Verbe s’est fait chair : il est l’Envoyé, le Missionné par excellence au cœur même de la réalité charnelle de notre humanité. Nous ne mesurerons jamais assez ce que cela signifie et surtout implique dans l’histoire et dans nos histoires saintes. C’est pourquoi la liturgie a pour mission de sans cesse faire résonner cette « parole de Dieu qui annonce et réalise son alliance créatrice et recréatrice avec les hommes[9] » dans chaque célébration, appelant ainsi notre écoute, suscitant notre conversion et nous invitant à la prédication de la Bonne Nouvelle du salut offert à tous : En effet, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Or, comment l’invoquer, si on n’a pas mis sa foi en lui ? Comment mettre sa foi en lui, si on ne l’a pas entendu ? Comment entendre si personne ne proclame ? Comment proclamer sans être envoyé ? Or la foi naît de ce que l’on entend (fides ex auditu) ; et ce que l’on entend, c’est la parole du Christ (Rm 10, 13-15.17).

Dès lors, les pieds des messagers sont beaux parce qu’ils sont envoyés annoncer une bonne nouvelle : la foi en Dieu, comme la confiance en l’autre, naît de cette capacité à écouter sa voix, par nos sens extérieurs et intérieurs, pour faire de nous « des personnes attentives à d’autres personnes, dans une attitude de confiance gratuite indispensable pour manifester la confiance également gratuite de Dieu[10] ».

Mais les semences du Verbe ne se limitent pas à sa parole proclamée, écoutée et prêchée. Comme Jésus a su se mettre à l’écoute de la parole de celles et ceux qui venaient à lui, la liturgie a pour mission d’accueillir « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent [car ce] sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut proposer à tous[11] ».

Cette mission d’accueil s’exprime plus particulièrement lors des baptêmes, des mariages et des funérailles ou à l’eucharistie du dimanche (notamment dans la prière universelle), mais surtout chaque fois que des femmes et des hommes qui frappent à la porte de l’Église viennent enrichir de leur présence et de leur vie, souvent chaotique, nos assemblées liturgiques, parfois trop bien « réglées ». Là où la tentation de l’identique, de l’entre-soi, de la conformité morale et religieuse guette l’Église, ils viennent l’ouvrir à la diversité de la vie que Dieu donne en abondance, et ainsi agrandir et élargir l’arc-en-ciel de son alliance avec tout ce qui vit et respire, car Dieu ne fait pas acception des personnes (Rm 2, 11 ; Ac 10, 34, BJ). Nos liturgies en sont elles-mêmes ainsi transformées et transfigurées.

Dès lors, louer l’action de l’Esprit qui se manifeste à chaque fois que la vie est plus forte que la mort, à chaque fois que nous nous accueillons et nous aimons les uns les autres avec nos différences, à l’image et à la ressemblance de l’amour de Dieu pour chacun de ses enfants, sans condition ; bénir toute vie dans le Corps du Fils, où chacun est « prêtre, prophète et roi » par une égale dignité de tous, sans considération de rang, de fonction, de titre, de niveau social, d’argent ni de situation personnelle ; et prêcher l’accueil inconditionnel de tous avec des mots choisis qui prennent en compte la pâte humaine et l’histoire sainte de chaque vie convertie par la parole créatrice du Père, telle est la triple mission que nous offre la liturgie de l’Église, afin de nous rendre plus miséricordieux, plus amoureux de la justice et de la paix, plus tendres avec la création et notre humanité, les seules dont Dieu dit que cela était bon et même très bon : « L’ite missa est résonne alors comme un “va et fais de même“ évangélique[12]. »


[1]. Mgr Claude Dagens, « La liturgie et la pastorale sacramentelle. Exigences et enjeux actuels », La Maison-Dieu, no 265, 2011/4, p. 22.
[2]. Ibid., p. 16-17.
[3]. Ibid., p. 25.
[4]. Paul Claudel, Art poétique.
[5]. Mgr Dagens, op. cit., p. 20.
[6]. M. Serres, Musique.
[7]. Mgr Dagens, op. cit., p. 13.
[8]. Ibid.
[9]. Ibid, p. 23.
[10]. Mgr Dagens, op. cit., p. 18.
[11]. Constitution Gaudium et spes, no 1.
[12]. Olivier Praud, La Maison-Dieu, no 265, 2011/1, p. 147.

©MGF no 323, octobre 2019

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Père François-Xavier Ledoux, o.p.

Musicien et chanteur, titulaire d’un master en théologie sacramentelle et liturgique, le père François-Xavier Ledoux, dominicain, a contribué à la réflexion sur la musique et le chant dans la liturgie. Agrégé de lettres classiques, il se consacre actuellement à l’enseignement des langues anciennes.

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