Magnificat

Les trésors de la rédaction

Renaître de nos cendres

Par P. François-Xavier Ledoux

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Le mercredi des Cendres ouvre le Carême, ce temps liturgique marqué par la pénitence, la purification et la conversion.

« Le mercredi avant le 1er dimanche de Carême, les chrétiens, en recevant les cendres, entrent dans le temps établi pour que les âmes se purifient, […] ce signe marque le début du chemin de conversion (1). »

À quelle pénitence, à quelle conversion la liturgie quadragésimale nous invite-t-elle individuellement et communautairement, afin que les rites posés et célébrés soient aussi vécus en vérité dans nos existences personnelles et dans nos activités ou missions ecclésiales ?

Déchirez vos cœurs et non vos vêtements

Une des grandes tentations, voire dérives, en liturgie, est d’en rester à l’extérieur, au « vêtement » ; l’apparat célébratoire peut alors plus ou moins bien dissimuler une forme de rigidité et/ou d’extériorité qui peut nuire à l’œuvre de Dieu.

Il y a là un danger pour les personnes qui pourraient alors se trouver prises au piège de l’accomplissement scrupuleux et esthétisant des rites, au détriment de l’incarnation du mystère célébré dans les cœurs, là où s’opère la conversion : ce retournement, et même parfois ce « déchirement » nécessaire pour que nos cœurs de pierre deviennent de véritables cœurs de chair, avec la grâce de Dieu (cf. Ez 36, 26).

En ce sens, la réception des cendres nous rappelle que tout est vanité (Si 1, 2) et nous convoque à l’humilité, c’est-à-dire à abandonner, notamment, toutes les postures de pouvoir, en liturgie comme en dehors d’elle. C’est pourquoi, personne, pas même le pape, ne se donne à lui-même les cendres mais chacun les reçoit d’un autre, car un serviteur n’est pas plus grand que son maître (Jn 13, 16).

De plus, la noble simplicité de la liturgie, et davantage encore celle du Carême, est aussi une invitation constante à ne pas succomber à la tentation de l’autocélébration de nous-mêmes : « Ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient » (Mt 6, 5). Le dépouillement qui marque les liturgies de ce temps nous invite à revenir à Dieu de tout notre cœur (cf. Jl 2, 13), c’est-à-dire à prendre sérieusement le temps de la réflexion et de l’intériorité pour revenir sur nos pratiques liturgiques ; notre manière de chanter, de jouer de l’orgue, de fleurir, de présider, de prier, etc., est-elle bien l’humble ministère d’une très haute qualité, authentiquement évangélique, c’est-à-dire au service du seul accomplissement du mystère de la grâce célébrée, sans volonté d’emprise ?

Les ambassadeurs du Christ

Ambassadeurs du Christ, voilà un beau titre que la liturgie des Cendres fait retentir ce jour-là dans l’Église, comme on faisait sonner du cor dans Sion (Jl 2, 1.15). Il nous rappelle qu’à la suite de Paul, nous sommes non pas au service de nous-mêmes mais d’un autre, le Christ, et des autres, ceux qu’il est venu servir et sauver, en particulier les plus pauvres. Ainsi la liturgie elle-même doit-elle être l’épiphanie, la manifestation à tous les hommes, sans exclusion, de cette solidarité avec les plus pauvres.

L’intention universelle du pape, pour ce mois de février, à laquelle nous sommes invités à nous unir, exprime bien cela : « Prions pour que le cri de tant de migrants victimes de trafics criminels soit entendu et pris en compte : ils sont nos frères et sœurs en humanité. » Mais c’est aussi, à sa manière plus radicale, plus « dépouillante » encore, ce que nous dit la célébration des Cendres : Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris, « Souviens-toi, homme, car tu es poussière et à la poussière tu retourneras ».

Autrement dit, nous sommes invités à faire mémoire d’un Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour (Jl 2, 13) pour chaque personne, quelle qu’elle soit, car chacune retournera à la poussière. Les cendres nous rappellent donc que chacune de nos vies a la même valeur aux yeux de Dieu que celle de n’importe qui d’autre. « Quelqu’un qui n’est pas capable de voir l’autre comme un frère, d’être ému par sa vie et sa situation, au-delà de son origine familiale, culturelle, sociale, celui-là ne peut pas être mon disciple (2). » Voilà la véritable métanoïa à laquelle les cendres nous convoquent : si nous les recevons sur nos fronts, c’est pour nous laisser toucher par ce dont elles sont aussi le signe, la misère de l’humanité. Dès lors, que signifie se laisser réconcilier avec Dieu (2 Co 5, 20), sinon faire la volonté de Dieu, qui est de prendre soin de sa création comme des plus petits, des plus faibles, des plus fragiles, des plus exclus, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu (v. 21) ?

Ton Père voit au plus secret

Loin, donc, de vivre un rite annuel qui nous ferait arborer fièrement une croix de cendres sur le front, nous sommes au contraire invités à produire dans l’humilité et la discrétion « des actes de pénitence et de charité qui nous détournent de nous-mêmes (3) » et de la gloire qui vient des hommes (Mt 6, 2). Alors que le « cœur malade et endurci » de l’homme le pousse à réduire en cendres, par le mal qu’il accomplit, l’œuvre de la création et des créatures, la liturgie de l’Église, par le don du corps et du sang du Seigneur, « nous ouvre à la justice et à la charité (4) ». Quel autre sens, d’ailleurs, pourrait bien avoir cet appel entendu en recevant les cendres : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » ?

Autrement dit, le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut (2 Co 6, 2), afin de ne pas laisser sans effet la grâce reçue de Dieu (v. 1), cette eau purifiante et ce parfum déposés sur notre tête au jour de notre baptême, pour apporter le salut et la bonne odeur du Christ dans la vie de notre prochain. « Parfume-toi la tête et lave-toi le visage », dit Jésus (Mt 6, 17). Mais cela ne peut se faire que si nous sommes attentifs à regarder notre monde et notre humanité comme toujours déjà sauvés, déjà aimés, déjà traversés, d’âge en âge, de génération en génération, par ce don divin de la grâce, une grâce incarnée au plus secret de nous-mêmes, là où notre Père nous apprend à consoler les affligés et à leur donner, au lieu de la cendre, un diadème (Is 61, 3).

Croire à l’Évangile, croire en Jésus, ce à quoi nous invite fortement la procession des cendres, n’est donc pas seulement ni d’abord une croyance personnelle, mais c’est un chemin de conversion permanente, discrète et cachée, à l’humilité, à la fragilité et à la charité pour renaître de nos cendres et accomplir en homme-dieu la grâce de notre baptême.

Pour cela, comme le chante si bien ce chant, faisons nôtre cette prière :

« Que Dieu vous prenne au goût du partage
et de l’humble service :
Vous transmettrez sans alliage
sa justice !
Ne perdons pas ce jour,
La voie juste est celle de l’amour. »

Sœur Marie-Pierre, Que Dieu vous prenne au goût du partage.

1. Congrégation pour le Culte divin, lettre circulaire Paschalis Solemnitatis sur la préparation et la célébration des fêtes pascales, 1988.
2. Pape François, Homélie, 8 septembre 2019, Madagascar.
3. Cendres, prière sur les offrandes.
4. Cendres, prière après la communion.


©MGF no 327, février 2020

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P. François-Xavier Ledoux

Musicien et chanteur, titulaire d’un master en théologie sacramentelle et liturgique, le père François-Xavier Ledoux, dominicain, a contribué à la réflexion sur la musique et le chant dans la liturgie. Agrégé de lettres classiques, il se consacre actuellement à l’enseignement des langues anciennes.

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