Magnificat

Les trésors de la rédaction

Trinité et liturgie

Par Père Arnaud Toury

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Le dogme trinitaire ne se présente pas comme une énigme supplémentaire pour ceux qui cherchent Dieu. Il veut révéler aux hommes ses profondeurs secrètes : notre Dieu est dialogue.

« Lex orandi, lex credendi : L’Église croit comme elle prie », selon l’adage du pape Célestin. Non seulement les mots de la prière, mais aussi sa forme, la manière même dont elle est structurée, sont l’expression de la foi, et sont donc formateurs pour la foi. En portant notre regard sur la liturgie de la messe, nous voulons redécouvrir ce qu’elle nous dit, ce qu’elle nous enseigne de la foi trinitaire, ou plutôt comment elle nous plonge au cœur de la Trinité, mystère même de Dieu.

Un grand dialogue

Toute la liturgie de la messe se déploie sous forme d’un grand dialogue entre Dieu et son peuple. Par les différents actes de parole et de chant, une correspondance du cœur s’établit entre le Seigneur et l’Église, en chacun de ses membres. Ce dialogue s’élabore avec des mots inspirés de la Bible, devenus les mots de la liturgie : par la voix des lecteurs, prêtres et diacres, ou de l’assemblée, la Parole se fait chair en notre temps. Ce dialogue passe aussi par les mots des hommes, que le Christ, présent en son Corps qu’est l’Église, fait siens. Parfois ce dialogue est explicite et codifié : « Le Seigneur soit avec vous. – Et avec votre esprit. » Parfois il est moins apparent et plus libre, ainsi la prière universelle, avec le Credo qui la précède, constitue la réponse de l’Église à la proclamation de l’Évangile. Parfois, ceux qui dialoguent se confondent : dans le psaume, chanté après la première lecture, et dans le Notre Père, les mots de l’humanité sont les mots du Christ, parole de Dieu, qui redeviennent parole de chacun (cf. Mt 26, 30 ; Mt 6, 9-13).

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit

Ce dialogue déployé, modèle de la prière chrétienne, est une épiphanie, un dévoilement du mystère du Dieu unique mais pas solitaire. Le dogme trinitaire ne se présente pas comme une énigme supplémentaire pour ceux qui cherchent Dieu. Il veut révéler aux hommes ses profondeurs secrètes : notre Dieu est dialogue. Et ce dialogue d’amour éternel entre le Père et le Fils, dans l’Esprit Saint, est le motif même de l’Alliance : à l’humanité, Dieu donne sa parole. Il s’engage et pose l’homme (scandale ou folie) comme un partenaire, parlant avec lui face à face, comme on parle d’homme à homme (Ex 33, 11). Parce que la Trinité parle de l’humanité, parce que sa parole fait l’humanité (Faisons l’homme à notre image [Gn 1, 26]), parce que Dieu parle à l’humanité, notre vie tout entière est appelée à être une réponse. En tant qu’êtres humains, nous pouvons parler avec le Dieu trois fois saint. En tant que baptisés, nous sommes appelés à vivre et à parler « au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit », comme l’indique le signe dont nous avons été marqués. La prière, et la liturgie au plus haut point, est l’expression de cette correspondance de notre pauvre humanité avec le Dieu humble ; et l’expression de notre responsabilité devant les hommes et devant le Dieu de miséricorde.

À toi, Dieu le Père tout-puissant

Notre réponse d’amour au Dieu trinitaire s’exprime dans la liturgie de la messe en s’adressant essentiellement au Père : toutes les oraisons (prière d’ouverture, prière sur les offrandes, etc.), le Je confesse à Dieu, le début du Gloire à Dieu, la prière universelle (généralement), l’intégralité de la prière eucharistique (hormis l’anamnèse), notamment la préface, et bien sûr le Notre Père. Cette invocation de Dieu comme Père n’est pas toujours explicite dans la liturgie. Il y a comme une ambiguïté dans certaines expressions venant de l’Ancien Testament : « Seigneur », « Dieu tout-puissant », « Dieu de l’univers », « Alléluia » (littéralement « louange à YHWH »). Le visage paternel de Dieu s’est révélé progressivement dans l’histoire de la foi. Il en est de même dans la liturgie, qui s’offre comme un chemin de révélation. On ne découvre la véritable paternité de Dieu que progressivement et toujours en passant par son Fils : Personne ne va vers le Père sans passer par moi (Jn 14, 6).

Par Jésus Christ, notre Seigneur

Pour prier le Père, nous sommes donc d’emblée situés du côté du Christ, au côté du Christ et à la suite du Christ : nous prions « par Jésus Christ, notre Seigneur », « par lui, avec lui et en lui ». La liturgie nous redit sans cesse notre dignité foncière de fils et filles de Dieu. Elle traduit concrètement l’adoption filiale reçue à notre baptême : Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ (Rm 8, 17). Cet héritage, c’est la résurrection. Car la véritable paternité de Dieu est non seulement de nous avoir créés, mais plus encore de nous ressusciter en son Fils : Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré (Ac 13, 33, citant le psaume 2). Aussi prions-nous essentiellement debout, dans l’attitude de ceux qui sont promis à la résurrection. La prière liturgique nous rend donc participants de la réponse d’amour éternel du Fils au Père, de son action de grâce (eucharistie, en grec). Et elle nous conforme au Christ dans son offrande totale au Père, source de vie : « Que ta volonté soit faite. »

Louange à toi, Seigneur Jésus

Pour autant, la liturgie de la messe n’est pas exclusivement tournée vers le Père. Elle nous oriente également vers le Fils : dans le « Seigneur, prends pitié », qui s’adresse intégralement au Christ, dans la fin du Gloire à Dieu, dans l’acclamation après l’Évangile, dans l’anamnèse, dans l’Agneau de Dieu. Prenant part au dialogue trinitaire, nous parlons, en quelque sorte, au Fils éternel au nom du Père, en l’appelant « Seigneur ». Notre prière redit la louange et l’émerveillement du Père devant l’offrande de son Fils, librement acceptée : Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin […]que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » (Ph 2, 9.11). En un mouvement simultané et convergent, la prière adressée au Christ porte aussi l’expression de la supplication de l’humanité : « Toi qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous » ; « Agneau de Dieu, donne-nous la paix » ; « Nous attendons ta venue dans la gloire. » Elle traduit ainsi le sentiment de notre exil, loin de Dieu. Dans le temps de notre vie et de notre monde, nous vivons tendus vers le Christ ressuscité, à la droite du Père, et qui intercède pour nous (cf. Rm 8, 34).

Dans l’unité du Saint-Esprit

Mais qu’en est-il ici du Saint-Esprit ? Étonnamment, la prière liturgique ne s’adresse jamais à l’Esprit Saint. Il ne s’agit pas d’une carence, mais bien d’une intention. Car la prière de l’Église ne peut jamais être pensée en dehors de son rapport intime à l’action de l’Esprit Saint. C’est lui qui fait surgir la prière en nous : Nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous (Rm 8, 26) ; Personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint (1 Co 12, 3). Si nous ne sommes pas encore tout entiers intégrés à la communion trinitaire, l’Esprit nous en donne le gage ici-bas : quand nous prions, c’est toujours « dans l’unité du Saint-Esprit », dans l’œuvre de l’Esprit. C’est lui qui, par la prière, nourrit en nous le désir de la communion avec le Père, notre vocation ultime dans le Christ : L’Esprit et l’Épouse disent : « Viens ! » (Ap 22, 17).

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Père Arnaud Toury

Arnaud Toury, prêtre du diocèse de Reims, est délégué diocésain à la pastorale liturgique et sacramentelle, formateur en liturgie et en théologie sacramentelle. MGF no 306, mai 2018

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