La Trinité (v. 1425-1428), Masaccio (1401-1428), Florence, Italie, Santa Maria Novella.
« On dirait que la voûte s’enfonce dans le mur »
Nous peinons sans doute à mesurer combien la fresque peinte par Masaccio sur l’un des murs de l’église dominicaine de Santa Maria Novella, à Florence, vers 1425, fut un coup de tonnerre dans le ciel pictural toscan. Depuis quelques années déjà, l’architecte Brunelleschi et le sculpteur Donatello démontraient l’incroyable nouveauté que permettaient la redécouverte et la réappropriation des modèles antiques. La peinture n’avait pas encore trouvé son maître. Ce fut Masaccio. À la chapelle Brancacci, mais aussi, et peut-être surtout, dans la fresque de la Trinité. Lorsqu’il la décrit dans ses célèbres Vies des plus illustres peintres, sculpteurs, etc., plus d’un siècle plus tard, Vasari relève l’extraordinaire jeu de trompe-l’œil qu’elle constitue : « Mais ce qui est beau, en plus des figures, c’est une voûte en berceau tirée en perspective et divisée en tableaux pleins de rosettes qui diminuent et escortent si bien qu’il semble que ce mur soit percé. » Admirateur de Masaccio, Vasari lui-même accepta cependant, en 1570, d’exécuter une grande toile, la Vierge au rosaire, qui dissimula la fresque. Il faut attendre le xixe siècle, 1861 précisément, pour que la suppression des autels latéraux créés au xvie siècle fasse redécouvrir ce chef-d’œuvre des débuts de la Renaissance florentine, et 1952 pour qu’elle retrouve toute sa splendeur originelle lors d’une restauration qui permet de recouvrer la composition tout entière. Vasari l’avait relevé : le tour de force de la composition tient en cette architecture perspective, traitée en trompe-l’œil. Au-dessus d’un autel accueillant en son centre une pierre sur laquelle repose un squelette, deux donateurs, agenouillés en prière, vêtus l’un de rouge et l’autre de noir, guident le spectateur vers la scène centrale. Cette dernière représente un espace clos évoquant une chapelle à l’architecture antique, où la Vierge Marie à gauche et saint Jean à droite se tiennent aux pieds d’un gigantesque tau. C’est là que la Trinité se présente à la dévotion des fidèles : le Père, debout sur une corniche, soutient la traverse de la croix sur laquelle gît le Fils, tandis que l’Esprit Saint, sous la forme d’une colombe, constitue une sorte d’habile trait d’union entre Père et Fils. La scène est d’une si grande précision perspective et architecturale que plusieurs érudits avancent l’hypothèse d’une collaboration du grand architecte Brunelleschi : le moindre élément y est décrit avec une rigueur étonnante, de l’ordre corinthien des pilastres latéraux à l’ordre ionique de l’espace clos en passant par la voûte à caissons. Masaccio suggère ainsi l’espace peint comme une extension de l’espace réel. Il a savamment rythmé sa composition : le choix de la gamme chromatique, qui fait alterner rouge et bleu et crée des effets de répons, et l’inscription de tous les personnages dans une pyramide et sur trois plans, qui rappellent la Trinité, permettent au regard de se concentrer sur l’admirable verticale des trois personnes divines.
L’unité divine est trine
Mais le sujet est-il vraiment la Trinité, cette unité divine qui est trine ? La fresque permet assurément de méditer sur ce grand mystère et notamment d’admirer ce lien d’amour qui unit les trois personnes. Mais elle va plus loin encore, associant à la représentation de la Trinité, traditionnelle depuis la fin du xiie siècle, celle de la Crucifixion, mais aussi celle du salut des âmes. La clé de lecture réside sans doute dans la partie basse, où gît un squelette – celui d’Adam – au-dessus duquel une inscription en vieil italien encourage le spectateur, d’emblée, à méditer sur la mort : « Io fu g[i]à quel che voi s[i]ete ; E quel chi sono voi a[n]cor[a] sarete », c’est-à-dire : « J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis. » Voué à la mort, l’homme de prière (comme les deux donateurs), par l’intercession des saints (la Vierge et saint Jean), doit parcourir ce chemin, de la terre au ciel, de l’espace extérieur à l’espace intérieur. Masaccio a d’ailleurs situé le point de fuite au centre de la première marche sur laquelle sont agenouillés les donateurs : le fidèle est ce mortel appelé à lever les yeux vers ce Dieu qui le sauve. Pour autant, à la différence des représentations antérieures, la séparation entre les deux mondes, celui des hommes et celui de Dieu, est abolie : les espaces sont certes différents, la Vierge et saint Jean constituant un trait d’union entre les deux, mais ils s’interpénètrent et reçoivent la même lumière. Les personnages sont de même taille. La Trinité accueille donc déjà, en son sein, l’homme de bonne volonté.
La communion parfaite
Le fidèle est invité à s’approcher de cet admirable échange entre Père, Fils et Esprit, et à entrer ainsi au cœur même de l’amour. Le Père domine la composition mais il s’efface derrière le Crucifié. La seule hiérarchie de l’amour est la communion et le don. Méditant sur ce si grand et beau mystère de la foi chrétienne, lors de la solennité de le Sainte Trinité, en mai 2005, le pape Benoît XVI commentait : « Dans la lumière du mystère pascal, se révèle pleinement le centre du cosmos et de l’histoire : Dieu lui-même, Amour éternel et infini. La parole qui résume toute la Révélation est celle-ci : Dieu est amour (1 Jn 4, 8.16) ; et l’amour est toujours un mystère, une réalité qui dépasse la raison sans la contredire, et plus encore, en exaltant même sa potentialité. Jésus nous a révélé le mystère de Dieu : Lui, le Fils, nous a fait connaître le Père qui est aux Cieux, et nous a donné l’Esprit Saint, l’Amour du Père et du Fils. La théologie chrétienne résume la vérité sur Dieu à travers cette expression : une unique substance en trois personnes. Dieu n’est pas solitude, mais communion parfaite. C’est pourquoi la personne humaine, image de Dieu, se réalise dans l’amour, qui est le don sincère de soi. »
Sophie Mouquin
La Trinité (v. 1425-1428), Masaccio (1401-1428), Florence (Italie), Santa Maria Novella. © Domingie & Rabatti / La Collection.
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