Saint François recevant les stigmates

Le 1 octobre 2024

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Saint François recevant les stigmates (1483-1485), Domenico Ghirlandaio (1448-1494),

« Une expression de l’amour du Crucifié »

C’est ainsi que Hans Urs von Balthasar décrivait la stigmatisation de saint François d’Assise (1181/82-1226), survenue le 17 septembre 1224, il y a 800 ans. Le poverello d’Assise, que l’Église fête le 4 octobre, est alors sur le mont de La Verna (Alverne). Il s’y est retiré pour prier, avec quelques compagnons, et médite devant sa cellule lorsqu’il voit « descendre des hauteurs célestes un séraphin ayant six ailes de feu toutes resplendissantes ». Le fondateur de l’ordre des Franciscains comprend « que la divine Providence l’avait fait jouir d’une telle faveur pour lui apprendre que c’était, non par le martyre de son corps, mais par un embrasement sans réserve de son âme, qu’il devait se transformer en la ressemblance du Sauveur crucifié » (saint Bonaventure). La vision disparut, mais les marques de la plaie du côté et des clous – dont les pointes étaient visibles – sur les pieds et les mains apparurent sur son corps, et François « descendit de la montagne portant avec lui l’image de son Seigneur crucifié, image non gravée sur la pierre ou le bois par la main de l’ouvrier, mais imprimée en sa chair par le doigt du Dieu vivant ». Commentant l’événement, lors d’une visite au monastère de l’Alverne, le pape Benoît XVI analysait : « La contemplation du Crucifix possède une efficacité extraordinaire, parce qu’elle nous fait passer des choses pensées à l’expérience vécue ; du salut espéré, à la patrie bienheureuse. […] Il ne suffit pas de se déclarer chrétiens pour être chrétiens, pas plus que de chercher à accomplir les œuvres de bien. Il faut se configurer à Jésus, à travers un effort lent et progressif de transformation de son propre être, à l’image du Seigneur, pour que, par la grâce divine, chaque membre de son Corps, à Lui qui est l’Église, montre la ressemblance nécessaire avec le Chef, le Christ Seigneur. »

La délicatesse de Ghirlandaio

La renommée de saint François favorise, très peu de temps après sa mort, le développement d’une iconographie assez importante dont Giotto est l’un des représentants les plus célèbres. Non loin de l’Ombrie, c’est en Toscane, à Florence, que Domenico di Tommaso Curadi di Doffo Bigordi, plus connu sous le nom de Domenico Ghirlandaio, entreprend un cycle de fresques narrant la vie du saint. L’artiste jouit déjà d’une solide réputation : les fresques de la chapelle Santa Fina, à San Gimignano (1475), celles de la chapelle Sixtine, à Rome (1481-1482) ou encore celles de la Sala dei Gigli du Palazzo Vecchio, à Florence (1482) lui ont valu l’admiration de ses contemporains. C’est dans la chapelle familiale des Sassetti de l’église florentine de Santa Trinità qu’il exécute un ensemble de fresques complétées par un retable représentant l’Adoration des bergers qu’encadrent les portraits des commanditaires, Nera Corsi Sassetti et Francesco Sassetti. Ghirlandaio y montre sa dette envers les créations des débuts de la Renaissance. Le cycle est composé de six épisodes de la vie de saint François d’Assise : le Renoncement aux biens de ce monde, la Stigmatisation, la Confirmation de la règle franciscaine, Saint François ressuscitant un enfant, l’Épreuve du feu devant le sultan, la Mort de saint François, disposés, comme à la chapelle Brancacci peinte par Masaccio en 1225-1228, sur deux registres superposés. Chacun des six épisodes est caractéristique de la manière de ce peintre : précision du dessin, sans doute en partie héritée de sa formation d’orfèvre, vivacité de la palette, et sens de la narration qui mêle aux épisodes sacrés des détails profanes. C’est particulièrement vrai dans la scène de la Confirmation de la règle qui met en scène le donateur, Francesco Sassetti, mais aussi le poète Ange Politien, Laurent de Médicis et ses fils, et situe l’épisode à Florence, devant le Palazzo Vecchio et la Loggia della Signoria. Ce choix fut sans doute dicté par le commanditaire Francesco Sassetti (1421-1490), banquier florentin au service des Médicis, qui souhaitait honorer son saint patron tout en flattant Le Magnifique. La scène de la Stigmatisation de saint François est l’une des plus sobres de tout le cycle. Délaissant toute allusion contemporaine et toute célébration dynastique, Ghirlandaio se concentre sur l’épisode et sur les vertus du saint.

Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20)

François est représenté au premier plan, devant un paysage dominé par une haute colline figurant le mont Alverne, tandis qu’au loin on distingue la ville de Pise, reconnaissable à sa tour. Dans son expérience mystique, celui qui parlait aux animaux est accompagné par un cerf, une biche et des oiseaux. Un genou à terre, les mains ouvertes en signe d’adoration et de louange, il regarde vers le ciel où le Crucifié, sous la forme d’un séraphin portant six ailes de feu, accompagné de chérubins, lui apparaît dans la nuée. La douceur de la palette, la clarté de la composition – très proche de celle que sculpte Benedetto da Maiano sur la chaire de Santa Croce à partir de 1481 – transforment l’épisode en un moment paisible, assez éloigné de la version qu’en livra Giotto à la toute fin du xiiie siècle. Il faut regarder attentivement pour distinguer les discrets rayons lumineux qui frappent les paumes des mains, le côté et les pieds du saint. Prenant quelques libertés avec le récit hagiographique, Ghirlandaio place l’événement en plein air et non dans la cellule du monastère, comme le relate saint Bonaventure, et situe l’Alverne non loin de Pise – où le peintre possédait un atelier. De même, le saint n’est pas seul, mais est accompagné de l’un de ses frères – sans doute frère Léon. La lisibilité de la composition, l’économie de moyens et le dépouillement chromatique favorisent une lecture intériorisée de l’épisode et incitent le spectateur à suivre François dans le silence de sa rencontre avec le Crucifié. Que celui que l’on surnommait l’Alter Christus nous aide à suivre Jésus, à désirer nous conformer à Lui, à souhaiter ardemment nous laisser transformer pour que ce ne soit plus nous qui vivions mais Lui qui vive en nous.

Sophie Mouquin

Maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Lille.

Saint François recevant les stigmates (1483-1485), Domenico Ghirlandaio (1448-1494), Florence, Santa Trinità, chapelle Sassetti. © akg-images / Rabatti & Domingie.

 

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